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Être obéissant à nos parents, sujets à la raison, qui fleurit peu à peu en vertu, et n’être serfs de personne… La nature nous a tous faits de même forme, et dans un même moule, pour être tous compagnons et frères… Elle n’a mis en nous aucune servitude, nous ayant tous mis en compagnie. Nous sommes donc nés libres, et avec affection de défendre cette franchise. Les bêtes mêmes, si les hommes ne font pas trop les sourds, leur crient : « Vive liberté !… » La liberté, on devrait la racheter au prix, de son sang ; car, ce bien perdu tous les gens d’honneur doivent estimer la vie déplaisante et la mort salutaire… Se remettre en son droit naturel, c’est proprement de bête revenir à homme. »

Puis il décrit les avantages de la liberté au point de vue de la défense du pays. « Les gens sujets, dit-il, n’ont pas d’allégresse au combat. Ils vont au danger, comme attachés à un joug et par manière d’acquit… Si 50,000 hommes libres sont en présence de 50,000 autres qui veulent leur ôter leur liberté, à qui prédirez-vous le succès ? qui se battra avec plus de courage ? Pensez à Miltiade, à Thémistocle, à Léonidas. Leurs exemples étaient pour la Grèce et pour le monde. En leurs jours, ce n’était pas tant la bataille des Grecs contre les Perses, mais la victoire de la liberté sur la domination et de la franchise sur la convoitise. »

Voilà l’éloquence de La Boëtie : voilà comment il agrandit les luttes de la Grèce contre l’invasion persane. La Boëtie est un esprit vaste et sublime, dévoré par la pensée comme Pascal ; usé vite comme lui, à trente-trois ans, et écrivant aussi ses réflexions dans sa jeunesse. Il savait quel est le rôle des peuples civilisateurs parmi les peuples de la terre ; et peut-être après les Grecs et les Romains, pensait-il à nous-mêmes : car, à l’exemple de Ronsard qu’il admirait, il s’attachait à donner à notre langue, comme instrument de civilisation, la perfection des langues anciennes, de manière qu’on pût dire — c’est son expression — que la grecque et la latine n’avaient sur nous que le droit d’aînesse. Soin touchant, que l’on prenait déjà de notre belle langue française, et près-