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que et de monarchie. Tout était bouleversé au xvie siècle, l’Église, l’État, la société, et tout semblait remis en question. Il n’était pas possible que le libre-examen s’enfermât dans la religion, comme dans un cercle de Popilius. La religion servait de route à la politique. On n’osait pas s’attaquer aux rois qui avaient la force ; on s’attaquait aux prêtres, aux évêques, aux papes, dont les rois riaient parfois les premiers ; mais le pape conduisait au roi, au peuple, à la société ; et naturellement, plus on était persécuté, plus on niait les pouvoirs des persécuteurs. Si on ne le faisait pas ouvertement en France et en Espagne, on le faisait à Middelbourg en Hollande : c’est là que paraissait la brochure à laquelle Montaigne craignait de donner trop de vogue en l’imprimant dans ses Essais ; c’était le Contrat social, ou quelque chose qui y ressemblait. Le xvie siècle préludait au xviiie, le chrétien La Boëtie au philosophe Jean-Jacques.

La Boëtie, en premier lieu, établissait la liberté naturelle et semblait ne vouloir parler que de cette liberté en n’ouvrant qu’un demi-jour sur ses désirs et ses préférences. Je vais citer textuellement, et sans y changer un mot, cette prose française du xvie siècle, qui déjà, dans La Boëtie, ressemble à celle de Descartes, à celle du fameux Discours de la Méthode, et qui tendait à faire une révolution dans la politique, comme le cartésianisme en fit une dans la philosophie. Le point de départ était le même chez les deux écrivains : la liberté. Chacun d’eux, dans le domaine purement intellectuel, la voulait sans entraves et lui cherchait le meilleur champ pour se développer ; chacun d’eux faisant la distinction de la science et de la foi, sécularisait la raison et ne voulait d’autre juge qu’elle-même.

« Malheur extrême, » dit La Boëtie (je le débarrasse de la vieille orthographe, comme on en débarrasse Descartes et sa prose y gagne), « malheur extrême d’être sujet à un maître, duquel on ne peut être assuré qu’il soit bon, puisqu’il est en sa puissance d’être mauvais quand il le voudra… ! Voici les préceptes de la nature et les droits qu’elle nous a donnés :