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le bronze avec la pointe d’un acier. Le caractère de l’homme est pour beaucoup dans le style, le temps aussi. La vivacité du pamphlet ne reparut que dans les controverses religieuses, dans l’éloquence de la chaire, qui est une éloquence de combat. Saint-Simon, plus tard, n’eut la manière du cardinal de Retz que parce qu’il avait vu les derniers héros de la Fronde et qu’il avait aussi leur humeur. Et que ne dirait-on pas si l’on poussait jusqu’à Paul-Louis Courier, jusqu’à ce style si net, si mordant et si classique tout ensemble ?

De même, sans les agitations du xvie siècle, on n’aurait jamais eu ni Montluc, aussi cassant dans son style que dans sa vie ; ni Tavannes, si nerveux, quoique sentencieux et un peu pédant. Mais qui n’était pas un peu pédant à l’époque de la Renaissance ? — On n’aurait pas eu d’Aubigné, si savant et si fin, et dont un jeune érudit de l’ancienne bibliothèque du Louvre, M. de Caussade, a trouvé à Genève un grand nombre de lettres inédites ; ni les auteurs de la satire Ménippée, qui manient si bien l’ironie ; ni peut-être Henri IV écrivain, et ses lettres qui ont toutes les qualités : piquantes et vives, quand il juge ses ennemis ; aimables, tendres et toujours spirituelles, quand il parle à ses maîtresses ou à ses amis… On n’aurait pas non plus le Contr’un de La Boëtie, ce monument de la prose française au xvie siècle, qu’ont loué tour à tour Villemain, Charles Nodier, Barthélemy Saint-Hilaire, Géruzez, Prévost-Paradol, D. Nisard. Ch. Nodier le trouve « étonnant et singulier, ferme, éloquent, comme nous paraîtrait, dit-il, la prose de Marcus Brutus et de Caton d’Utique, si nous avions leurs discours. » Prevost-Paradol, applaudissant au but politique du Contr’un, dans son Introduction à la belle édition de Montaigne par Victor Leclerc, « admire ce chef-d’œuvre d’une âme stoïque et d’un mâle génie ; » et Villemain enfin ajoute magnifiquement, dans son discours d’ouverture de 1822, « que le Contr’un ressemble à un manuscrit antique, trouvé dans les ruines de Rome, sous la statue brisée du plus jeune des Gracques. »