Tel était le xvie siècle, et nous sommes peut-être mieux placés pour le juger. En histoire, la distance est un bien, on voit mieux de loin que de près ; et c’est par les siècles agités que doivent être appréciés les siècles de discordes. On les méprise moins, on les excuse plus ; un retour sur soi n’est pas de trop, et l’indulgence conduit à la justice. Voilà pourquoi je voudrais étudier, sous le rapport de leurs idées politiques, deux de ces savants, deux de ces amis du xvie siècle, La Boëtie et Montaigne, déjà maniés et retournés, si je puis dire, au point de vue de la philosophie et de la langue, par des écrivains illustres, éloquents, plus dignes d’attention et de mémoire. Mon séjour à Bordeaux, dans cette ville où vécurent les deux amis et où leurs descendants se trouvent, aidera à mes appréciations, autant que la similitude des temps. Dans les contrées qu’on habite, on pense vite aux grands hommes qu’elles ont produits. Il n’est pas long d’ailleurs l’ouvrage de l’un d’eux, le Contr’un de La Boëtie, ou Discours de la servitude volontaire : l’étendue est dans les idées, non dans les mots : c’est une brochure ; et bien des gens qui en eurent connaissance sous Charles IX, ou quand il parut sous Henri III, y virent un pamphlet. Montaigne lui-même, qui voulait l'insérer dans son chapitre de l’Amitié, en fut effrayé et ne l’inséra point. Il en fut effrayé, dis-je, sans cesser de l’estimer, comme il estimait bien d’autres œuvres de ce genre : car tout n’est pas à dédaigner dans cette multitude d’écrits que voient éclore les révolutions, et les pamphlets servent à la langue ; ils lui donnent plus de vivacité et d’esprit, plus de finesse et de trait ; ils l’aiguisent ; elle a par eux plus de verve railleuse et les plus piquants à-propos. Le style y est agité comme la passion qui l’inspire ; mais il y a quelque chose d’impétueux et d’altier, qu’offrent moins les époques tranquilles, où la majesté remplace la force, où l’allure légère succède à l’âpre causticité. On le vit bien au xviie siècle, dans les mémoires de la Fronde, qui rappelaient tant de pamphlets, surtout dans les mémoires de Betz, pamphlets eux-mêmes si souvent, et d’une originalité si fière qu’on les dirait écrits sur