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personnages qui jaillissent de son cerveau sont soutenus et portés par les mêmes vagues sociales qui nous soutiennent et nous portent. Les faits générateurs qui les ont créés sont ceux qui continuent à fonctionner autour de nous. Si beaucoup de jeunes gens se sont proposé comme modèle un Rastignac par exemple, c’est que les passions dont cet ambitieux pauvre est consumé sont celles que notre âge d’effrénées convoitises multiplie autour de la jeunesse déshéritée. Ajoutez à cela que Balzac ne s’est pas contenté de montrer les sources fécondes de l’âme moderne, mais qu’il les a montrées sous la lumière de la plus ardente imagination qui fût jamais. Par une rencontre bien rare, ce philosophe était aussi un homme pareil aux conteurs d’Orient, à qui la solitude, la surexcitation du travail nocturne avaient communiqué une brillante et continue hallucination. Il a su faire partager cette fièvre à ses lecteurs et les plonger dans une sorte de pays des Mille et Une Nuits où toutes les passions, tous les besoins de la réalité apparaissent, mais amplifiés jusqu’à la fantasmagorie, ainsi que dans les cauchemars du laudanum et du hachisch. Comment ne pas comprendre que, pour certains lecteurs, ce monde de Balzac ait été plus vivant que l’autre, et, par suite, ait modelé leur activité à sa ressemblance ? Il est possible qu’aujourd’hui ce phénomène devienne plus rare, et que Balzac, admiré autant, n’exerce plus la même influence fascinatrice. Cela tient à ce que les grandes causes sociales qu’il a définies ont presque achevé leur œuvre. D’autres forces modifient les générations nouvelles et les préparent à d’autres nuances de sensibilité. Il n’en reste pas moins acquis que, pour mieux pénétrer toute la portion centrale du dix-neuvième siècle français,