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Poë, qu’un donneur de cauchemars. Il fut préservé du fantastique par un autre don qui semble contradictoire avec le premier. Ce visionnaire fut en effet un philosophe, c’est-à-dire un amateur et un manieur d’idées générales. La preuve en est dans sa biographie, qui nous le montre plongé, durant ses années de collège, à Vendôme, comme en une folie de lectures abstraites. Toute la bibliothèque de théologiens et de mystiques qui se trouvait dans la vieille maison d’oratoriens fut absorbée par l’enfant, au point qu’on dut le retirer de l’école, malade, le cerveau presque abêti par cet étrange opium. L’histoire de Louis Lambert est la monographie de sa propre intelligence. Durant sa jeunesse et dans les moments arrachés au métier, de quoi s’occupait-il ? D’idées générales encore. On le voit s’intéresser à la querelle de Geoffroy Saint-Hilaire et de Cuvier, s’inquiéter de l’hypothèse de l’unité de création, reprendre les mystiques encore, et, de fait, ses romans débordent de théories. Pas un de ses ouvrages, d’où l’on ne puisse extraire des pensées abstraites, par centaines. S’il décrit, comme dans le Curé de Tours, les infortunes d’un vieux prêtre célibataire, il en profite pour esquisser une théorie sur le développement de la sensibilité, et une théorie sur l’avenir de l’Église catholique. S’il décrit, comme dans la Maison Nucingen, une scène de souper entre des Parisiens blasés, il y introduit une philosophie du crédit, des rapports de la banque et des pouvoirs publics, — que sais-je ? Parlant de son Daniel d’Arthez, celui de ses héros, avec Albert Savarus et Raphaël, qui lui ressemble le plus, il écrit : « Daniel n’admettait pas le talent hors ligne sans de profondes connaissances métaphysiques. Il procédait en ce moment au dépouillement de toutes les richesses philoso-