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le violoneux de la sapinière.

gagnait plus d’argent. C’est la petite Véronique qui m’a raconté cela, cette petite qui a pris son violon pour empêcher les méchants gars de le casser. Elle l’a entendu chercher ses airs, et il n’avait personne pour lui montrer. Aussi, il est heureux à présent. Sa mère ne l’aimait pas, elle le battait, elle disait qu’il n’était bon à rien ; maintenant elle lui fait toutes sortes d’amitiés, et elle se vante de lui à tout le monde.

— Et lui ? est-ce que cela lui fait plaisir ? demanda Emmanuel en haussant les épaules. C’est par orgueil qu’elle l’aime, sa mère ; ce n’est pas là ce que j’appelle aimer les gens. C’est comme si je devenais un de ces jours un joli gandin tout pommadé, avec des airs de demoiselle et une raie au milieu de la tête : on ne demanderait pas mieux que de m’emmener en voyage, alors. Mais moi !…

— Eh bien, Ambroise n’est pas comme vous, reprit la petite qui avait compris ; il est content que sa mère l’aime, et je crois qu’il a raison et qu’il est plus heureux comme cela.

— Oh ! vous, Anne, vous aimez tout le monde. Je parie que vous n’êtes pas capable de détester les méchants !

— Si, pendant qu’ils sont méchants ; ainsi, quand vous m’avez cassé mes poupées, quand vous m’avez coupé la queue de mon chat, quand vous m’avez plumé ma poule blanche, quand vous m’avez écrasé mon réséda, eh bien, je ne vous aimais pas du tout ; et je vous aime à présent, parce que vous avez défendu le pauvre Ambroise. Est-ce que je n’ai pas raison ? »

Emmanuel, embarrassé par le souvenir de ses anciens méfaits, se faisait une tartine de crème en manière de contenance, et il y mordit une forte bouchée pour se dispenser de répondre. Anne le regarda manger ; puis, se levant :

« Il faut que je rentre à la maison : Pélagie serait inquiète si je restais trop longtemps dehors, et puis j’ai mes devoirs à faire.

— Vos devoirs ! pauvre Anne ! c’est bien ennuyeux, n’est-ce pas ?

— Mais non, au contraire, c’est très-amusant ; j’ai des fables très-jolies à apprendre, et puis des histoires très-intéressantes. Quand j’ai appris ma leçon, je lis toujours un peu du reste du livre pour voir ce qui arrivera après.

— Ah bien ! c’est une idée qui ne m’est jamais venue.

— Vous ne lisez jamais ?

— Bien sûr ! Est-ce que je le peux au lycée ? Je passe tout mon