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le violoneux de la sapinière.

Pierre Rabou, le joueur de flûte, et Xavier Larigue, le joueur de clarinette, qui renforçaient le son du violon avec celui de leurs instruments qui s’entendaient de loin ; et Ambroise ne savait pas trop quel effet lui feraient ces deux compagnons lui cornant aux oreilles. Aussi accepta-t-il avec plaisir l’offre que lui fit son père, qui n’avait pas la fièvre ce jour-là, de lui donner une leçon avant qu’il partît pour le préveil.

Il arriva à Chaillé comme la messe sonnait : il alla déposer son violon chez l’aubergiste de la place, qui gagnait gros ce jour-là, parce qu’on dansait devant sa porte, et il se rendit ensuite à l’église, où il se tint debout près du portail, parmi les hommes, tandis que les femmes du bourg prenaient place dans les bancs, et que celles des environs s’asseyaient sur leurs talons, et restaient immobiles, roulant leurs chapelets dans leurs doigts. Il s’aperçut bientôt qu’on l’avait remarqué, qu’on se le montrait, qu’on chuchotait autour de lui, et il se rengorgea.

Avec un peu moins de vanité, il n’aurait pas été aussi satisfait. Il y avait là quelques grands garçons qui ricanaient en le regardant et qui ne paraissaient pas animés d’une grande bienveillance à son égard. C’étaient des amis de Nicolas Rezeau et de son cousin le cabaretier qui demeurait près de la poste aux chevaux et qui aurait bien voulu attirer la danse de son côté, avec Nicolas pour violoneux. Mais Ambroise ne devina point leurs sentiments, et, la messe finie, il s’en alla vite à son poste.

Le préveil de Chaillé ressemblait à tous les préveils. Sur la place, dans les chemins, dans les prés, le long des haies verdoyantes, une foule bigarrée : femmes aux coiffes blanches, aux fichus de couleurs éclatantes, croisés par devant sous la bavette du tablier ; garçons au teint brun, abrités sous leur grand chapeau et appuyés sur leur bâton de cormier ; à tous les détours des sentiers des marchandes accroupies dans la poussière, ayant devant elles un grand panier recouvert d’une serviette blanche, et offrant aux passants, l’une des gâteaux, l’autre des crêpes, une troisième de la limonade, du poiré ou du vin blanc.

Sur la place, des colporteurs se glissaient à travers la foule, leur boîte ouverte pendue au cou, offrant à tout venant des bagues d’argent, des médailles de cuivre, des petits Jésus de cire à chevelure de filasse, des bouquets de fleurs artificielles, des croix et des cœurs en or, enfilés dans un ruban de velours noir, tout prêts à être mis