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le violoneux de la sapinière.

sans rien dire, quand la Tarnaude pressa Louis d’aller à son ouvrage, en ajoutant qu’il serait sans doute encore longtemps le seul à travailler dans la maison.

Ce jour-là, Ambroise n’était pas sorti. Il allait, venait d’une chambre dans l’autre, ouvrait la porte pour regarder sur la route, se rasseyait, se relevait, ne pouvait tenir en place. La Tarnaude grommelait : « Depuis qu’il se porte bien, il a tout le caractère de son père : des gens qui remuent toujours sans avancer à rien. »

Enfin, vers midi, on entendit des pas qui s’approchaient de la maison ; quelqu’un heurta à la porte, puis la poussa, et plusieurs hommes entrèrent en disant :

« Bonne santé à la compagnie ! »

C’étaient des aubergistes, cabaretiers et marchands de Saint-Florent, de Chaillé, du Tablier, de Nesmy et même de la Limouzinière, qui venaient voir si le ménétrier était remis de sa chute et capable de faire danser aux préveils de la semaine de Pâques. Chaque bourg ou village avait son jour de préveil cette semaine-là, jusqu’à la Quasimodo, et ensuite tous les dimanches et toutes les fêtes de l’été. C’était la bonne saison pour Julien Tarnaud : on comprend la mauvaise humeur de sa femme.

En voyant le ménétrier couché dans son lit, jaune comme un coing, les hommes prirent un air de compassion, se lamentèrent de cette mauvaise fièvre, conseillèrent à Julien de la chasser au plus vite, et finirent par exprimer leurs regrets d’être obligés de s’adresser à Nicolas Rezeau, qui n’était point capable d’enlever la danse comme le ménétrier de la Sapinière.

Ce fut alors que le petit Ambroise, qui s’était tenu tranquille depuis l’arrivée des visiteurs, se leva de son banc et vint se mettre debout au milieu d’eux.

« Avant de demander Nicolas Rezeau, dit-il, attendez un moment. Le père est malade, il ne peut pas jouer ; mais si je fais danser aussi bien que lui, voulez-vous me prendre à sa place ?

— Toi ! s’écrièrent toutes les voix à la fois.

— Il est fou ! dit la mère en haussant les épaules.

— Est-ce qu’il est bon à quelque chose ! dit Louis qui venait d’entrer.

— Toi, Louis, je ne me moque pas de toi parce que tu ne sais pas jouer du violon. Retourne à ta charrue : chacun son métier. Et vous autres, écoutez un peu ! »