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le violoneux de la sapinière.

un regard circulaire sur sa famille pour s’assurer que toutes les toilettes étaient en ordre, et s’aperçut que la cravate d’Emmanuel s’était dénouée ; les deux bouts pendaient sur son gilet blanc, où s’étalait en outre une large tache de sirop.

« Toujours le même ! s’écria la mère irritée. J’aurais dû vous laisser passer vos vacances au lycée, monsieur ! »

Anne était allée tremper dans l’eau fraîche le coin de son petit mouchoir.

« Ce ne sera rien, madame, dit-elle timidement ; je vais laver la tache, et il n’y paraîtra plus. »

Et elle se mit à frotter doucement jusqu’à ce que la tache eût disparu. Mme Arnaudeau reprit sa sérénité. Elle ôta son gant et s’avança armée d’une longue épingle pour fixer d’une manière immuable le nœud de cravate de son fils. Au moment où elle achevait cette importante opération, Emmanuel, ennuyé du temps qu’elle y mettait, fit un brusque mouvement. Mme Arnaudeau jeta un cri.

« Maladroit ! l’épingle m’a déchiré le doigt, et voilà le nœud défait !

— J’ai ici une eau qui vous guérira tout de suite, madame, » dit Anne en courant ouvrir un petit placard. Elle revint avec un flacon, une bande de toile fine qu’elle y mouilla, et emmaillota adroitement le doigt de Mme Arnaudeau, qui se laissa faire et daigna même la remercier. Puis, allant à Emmanuel :

« Je sais très-bien faire les nœuds de cravate, dit l’enfant ; je fais toujours ceux de papa quand je veux qu’il soit beau. Voulez-vous que j’essaye ? »

Emmanuel se rassit pour être à sa hauteur ; et elle lui arrangea sa cravate. Décidément, si elle ignorait la date du déluge, elle savait bien d’autres choses, la petite Anne.

« Là ! dit-elle ; elle tiendra très-bien, sans épingle. »

Emmanuel la remercia : c’était la première fois de sa vie que cela lui arrivait, de remercier sans qu’on eût besoin de le lui dire.

Pendant qu’on reconduisait les visiteurs, Anne, qui marchait près d’Emmanuel, lui demanda s’il apprenait autant de choses que sa sœur.

Ah ! je crois bien ! répondit l’écolier, et bien d’autres avec. Mais je ne suis pas comme ma pimbêche de sœur qui trouve que c’est amusant. Après ça, peut-être que c’est amusant ce que font les filles, le piano et puis les dessins où il y a de la couleur, et tout le reste.