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le violoneux de la sapinière.

— Et quel âge aura mademoiselle quand elle saura tout cela ! demanda Mlle Léonide avec un air bonhomme.

— Elle aura dix-sept ans ! reprit orgueilleusement la mère.

— Dix-sept ans ! assurément elle aura une instruction peu commune à cet âge ; elle sera la lumière de la Vendée, et vous pouvez en être fière d’avance, madame ! »

Anne, qui avait d’abord été éblouie par cette énumération de connaissances, eut comme une idée vague que Mme Léonide se moquait de Sylvanie. Elle quitta M. Arnaudeau et se glissa hors du salon. Elle dit quelques mots à Pélagie et rentra. On parlait encore d’elle.

« Assurément, docteur, disait Mme Arnaudeau, il serait temps de commencer à l’instruire. Vous devriez l’envoyer à Luçon ; avec la protection de Sylvanie, elle serait très-bien reçue ; et elle vous reviendrait dans quelques années capable de faire honneur à votre maison. Que peut-elle apprendre ici ? Je parie qu’elle ne sait rien du tout. Voyons, Sylvanie, fais-lui quelques questions, rien que pour voir dans quelle classe on la mettrait.

— Volontiers, maman. Voyons, ma petite, — ce mot fut dit du même ton que si Sylvanie avait eu six pieds de haut, — savez-vous. combien il y a eu de rois en France ? Non ? Eh bien, pouvez-vous me dire la date du déluge ? ou bien les fleuves d’Amérique ? Vous ne savez pas ?… Savez-vous seulement à quel règne appartiennent les productions de votre jardin, les cerises, les groseilles ?

— Non, mademoiselle, répondit Anne en jetant un regard vers la porte, où Pélagie venait d’apparaître chargée d’un plateau ; mais pour ce qui est des groseilles, je sais en faire du sirop, et j’espère que vous voudrez bien y goûter. »

Et Anne, échappant à l’examen que lui faisait subir Sylvanie, courut au plateau, versa son sirop dans les verres, y ajouta de l’eau en soulevant à deux mains la lourde carafe, et vint offrir gracieusement à boire à Mme Arnaudeau et à Mlle Léonide qui lui souriait d’un air d’encouragement. Puis ce fut le tour des autres visiteurs ; et Anne veillait si bien à les débarrasser des verres dès qu’ils les avaient vidés, qu’ils n’avaient pas un instant à attendre.

Quand ce fut fini, elle avait grand’peur qu’on remît de nouveau son éducation sur le tapis, mais Mme Arnaudeau, qui avait encore quelques visites de cérémonie à faire avant le dîner, se leva majestueusement et donna le signal du départ. Avant de sortir, elle jeta