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le violoneux de la sapinière.

beaucoup d’esprit, et elle l’avait conservée pour se donner un air de supériorité.

Quant à M. Emmanuel Arnaudeau, d’un an plus jeune que sa sœur, ç’aurait été un beau garçon s’il eût bien voulu user de savon et d’eau, nouer sa cravate, respecter la roideur de son col, se peigner quelquefois, attacher les cordons de ses souliers et ne pas couronner les genoux de son pantalon. Mais, comme à toutes ses irrégularités de costume il joignait un langage de collégien mal appris et un caractère querelleur, il n’était agréable ni à voir ni à entendre. On se souvenait pourtant de l’avoir connu autrefois gai et bon enfant, suivant tous les pas de son père. Mais Mme Arnaudeau avait craint qu’il ne prît des goûts et des habitudes de paysan, et à sept ans juste le pauvre garçon avait été conduit au lycée du département.

À son arrivée, les camarades s’étaient moqués de lui ; n’ayant pas la langue bien pendue, il avait riposté par des taloches, qu’on lui avait rendues, si bien que peu à peu il en était venu à passer ses récréations en batailles. Pour ses études, il montait tous les ans d’une classe dans l’autre, et il était à peu près le dernier dans toutes. Il était entré au lycée ne sachant rien, pas même apprendre ; ahuri par ce qu’on lui faisait faire et par la manière dont on le lui faisait faire, il avait pris le travail en dégoût, et ce dégoût durait encore au bout de six ans, et lui valait le mépris de Sylvanie.

Sylvanie, elle, était restée avec sa mère jusqu’à onze ans ; puis elle avait été mise dans un couvent de Luçon où les familles riches du pays envoyaient leurs filles. Elle signait tous ses cahiers « Sylvanie Arnaudeau du Lardier », et les petites qui voulaient obtenir d’elle quelque image à dentelle ou quelque bout de ruban l’appelaient « mademoiselle du Lardier ».

Les jours de sortie du couvent, Mme Arnaudeau arrivait à Luçon dès le matin dans sa voiture, allait chercher sa fille, l’emmenait à l’hôtel où elle lui faisait revêtir une toilette à la dernière mode, et passait le reste de la journée à faire avec elle des visites dans la ville et aux environs. Emmanuel ne sortait guère, il n’en avait pas souvent le droit. Les deux enfants se réunissaient deux fois par an, à Pâques et aux vacances, et n’étaient pas ravis de cette réunion.

Emmanuel trouvait fort ennuyeux d’aller chez tous les voisins et de faire pour cela une toilette — qui se défaisait d’elle-même