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le violoneux de la sapinière.

de toutes les réunions où il eût été obligé de parler à quelqu’un, et pour la première fois qu’il se risquait, il était si gauche, il se montrait si embarrassé de ses pieds, de ses mains, de ses gants, de son chapeau, de toute sa personne, qu’il faisait naître les rires partout où il paraissait ; il s’en apercevait et n’en devenait pas plus brave.

Mlle Césarine le prit sous sa haute protection, daigna l’encourager, lui fit danser son premier quadrille ; et le pauvre garçon, reconnaissant jusqu’au fond du cœur, déclara le lendemain à son père qu’il n’épouserait jamais d’autre femme que Mlle du Lardier. Le père et le grand-père Arnaudeau, anciens meuniers enrichis, se trouvaient par hasard n’être pas avares, et l’idée de s’allier à une famille aussi distinguée leur sourit tout de suite. Mlle Césarine daigna accepter ; et Alexandre signa avec ravissement le pacte de son esclavage. Il s’aperçut bien vite que sa femme n’était ni si bonne, ni si aimable, ni si compatissante qu’il l’avait cru ; mais il resta toujours convaincu de sa supériorité et prit tout doucement l’habitude de n’être que le mari de la reine. Il faisait le moins de visites possible et n’était jamais là quand Madame recevait. Il sortait dès le matin, en jaquette et en gros souliers, voire même en sabots ; il s’occupait de ses champs, de ses jardins, de ses moulins, de ses bestiaux. Les paysans et les journaliers le saluaient et s’arrêtaient souvent pour lui parler, car il n’était pas timide avec eux, et ils disaient en parlant de lui : « Ce bon M. Arnaudeau ! »

Il avait beaucoup aimé ses enfants, quand ils étaient petits ; depuis qu’ils avaient grandi, que leur mère les avait envoyés en pension au loin, que Sylvanie revenait en vacances avec un lorgnon et une robe de soie, et qu’Emmanuel était censé savoir du latin, leur père avait pour eux un peu de ce respect craintif qu’il éprouvait pour sa femme.

Sylvanie, âgée de quinze ans, n’aurait été ni belle ni laide si elle eût consenti à être simple ; mais elle avait admirablement profité des leçons de sa mère, visait à l’air distingué et aux grandes manières, et étonnait son pensionnat par les toilettes qu’elle arborait les jours de sortie pour se dédommager d’avoir porté l’uniforme pendant quinze jours.

Elle n’était pas née méchante, mais elle commençait à le devenir à force de se moquer de tout et de tout le monde. Elle avait pris cette fâcheuse habitude pour faire rire sa mère, qui lui trouvait