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le violoneux de la sapinière.

Mlle Léonide allait demander de qui il s’agissait, lorsque la porte s’ouvrit et le docteur enleva sa fille dans ses bras en s’écriant :

« J’avais bien reconnu le pas de ma petite Anne ! Viens saluer Mme Arnaudeau, ma chérie ; Emmanuel et Sylvanie sont avec elle. »

Anne s’avança timidement et vint présenter sa joue aux lèvres de Mme Arnaudeau et de ses enfants ; puis elle les regarda en se demandant de quoi elle pourrait bien leur parler, et comme elle ne trouva rien, elle demeura muette.

Beaucoup d’autres petites filles auraient été aussi embarrassées qu’elle devant ces imposants personnages.

Mme Arnaudeau, née Césarine Lardier, ou du Lardier, était une grande et grosse femme très-serrée dans son corset, ce qui lui rendait le teint plus animé que nature. Il semblait toujours qu’elle allait éclater, tant sa peau était tendue et luisante ; et les yeux étaient involontairement attirés par le bourrelet que formait son poignet rouge entre sa manchette blanche trop étroite et son gant jaune trop court.

Elle portait haut sa tête empanachée, et parlait avec autorité, elle n’était pas précisément malveillante, mais elle daignait se montrer bienveillante, ce qui était bien pis.

Elle avait une certaine considération pour ses enfants, parce qu’ils étaient ses enfants et devaient nécessairement tenir d’elle toutes les qualités qu’elle se plaisait à se reconnaître ; mais si quelqu’un fût venu lui dire que son mari valait mieux qu’elle, ce quelqu’un l’eût bien étonnée, car il ne lui était jamais venu à l’idée de trouver une valeur quelconque à M. Arnaudeau.

Dans sa jeunesse, Mme Arnaudeau avait été mince et jolie ; et comme elle avait toujours eu et affiché une très-haute opinion d’elle-même, elle n’avait pas eu de peine à passer pour belle. Par malheur, elle n’était pas riche, et en Vendée, comme dans bien d’autres pays, on se marie surtout pour arrondir sa terre et sa bourse. De plus, sa famille se disait noble, prétention qui faisait rire l’ancienne noblesse du pays, et qui excitait la jalousie des propriétaires bourgeois, presque tous fils ou petits-fils de paysans. Elle aurait donc bien pu coiffer sainte Catherine, si elle n’avait pas rencontré dans une partie de campagne le pauvre Alexandre Arnaudeau, qui, à vingt ans passés, avait terminé péniblement ses études au collège de Luçon. Depuis un an qu’il était rentré chez son père, sa timidité farouche l’avait éloigné