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le violoneux de la sapinière.

rait les bras le long du corps. À côté du berceau, une poupée aux longs cheveux tressés de rubans rouges, vêtue d’une chemise blanche à larges manches, d’un corset noir au plastron tout couvert de paillettes d’argent, d’un jupon rouge, et d’un tablier bleu brodé d’argent et d’or et relevé dans la ceinture, représentait la nourrice ou la mère de l’enfant.

« Cela, c’est pour toi, lui dit Mlle Léonide. C’est une poupée italienne : j’ai vu des villages où toutes les femmes sont habillées comme cela, et les petits enfants comme celui-ci.

— Comme c’est beau de voyager ! dit la petite, pensive.

— On peut toujours voyager dans les livres : je t’en donnerai de beaux, avec des images ; tu y verras le pays de la poupée.

— Comme vous êtes bonne ! Vrai ! vous avez pensé à moi de si loin ?

— Sans doute ! Et toi, tu ne pensais donc jamais à ta vieille amie ?

— Si, quelquefois, fit Anne confuse ; mais je n’ai rien fait pour vous.

— Parce que tu étais petite. À présent tu m’aides à ranger ma maison : tu vois bien que tu fais quelque chose pour moi. Allons, emporte tes poupées et continuons. Prends avec soin cette grande boîte : je vais l’ouvrir pour te montrer ce qu’il y a dedans : c’est très-précieux.

— Ah ! je connais bien cela, c’est un violon. Mais quel drôle de violon ! il n’est pas rouge comme ceux des violoneux qui font danser aux préveils, et puis il a un gros ventre tout rond.

— Ce violon-là, mon enfant, a été fait il y a trois cents ans en Italie, par un savant faiseur de violons qui s’appelait Amati. Le roi de France de ce temps-là, qui était Henri III, lui commanda vingt-quatre beaux violons pour faire de la musique aux noces du duc de Joyeuse, un seigneur qu’il aimait beaucoup ; et mon violon est un de ceux-là. Tu penses bien qu’il a voyagé depuis, avant de revenir en Italie où je l’ai acheté, et qu’il a vu bien des choses.

— Quel dommage qu’il ne puisse pas les raconter ! s’écria Anne. Est-ce que vous savez en jouer, mademoiselle ?

— Non, mais je l’ai acheté pour sa rareté ; c’est très-curieux et très-précieux, ces violons-là. Je l’ai prêté plusieurs fois à des artistes, et il a les sons les plus doux qu’on puisse entendre. Là ! remettons-le dans sa boîte. Maintenant, range-moi ces pierres sur cette étagère.