Page:Colomb - Le violoneux de la Sapinière, 1893.djvu/55

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
43
le violoneux de la sapinière.

Anne secoua la tête.

« Tu n’apprends donc pas la géographie ?

— Non, je n’apprends rien du tout. Pélagie ne sait rien, et papa n’a pas le temps de me faire étudier. Je ne sais que les histoires qu’il me raconte le soir, en hiver.

— Tu ne lis jamais ?

— Papa dit que ses livres ne sont pas pour les petites filles. Je lis dans le livre de cuisine, quand Pélagie veut faire un nouveau plat, pour lui dire comment elle doit s’y prendre. Avez-vous un lièvre ? je vous réciterai toute la recette du civet sans manquer un mot.

— Eh bien, tu es plus forte que moi en cuisine. Mais je te prêterai de beaux livres ; nous allons les déballer tout à l’heure, quand nous aurons roulé l’orgue dans le salon. Allons, tirons-le de sa boîte. »

Jean et le père Brethomé eurent bientôt installé l’orgue à une bonne place au jour. Anne les suivait pas à pas.

Au tour du piano, maintenant ! » dit Mlle Léonide. Et, après un nouveau travail, le piano vint rejoindre l’orgue. Mlle Léonide l’ouvrit pour voir s’il était resté d’accord.

« Oh ! que j’aime cet air ! s’écria l’enfant. Maman le jouait, je le reconnais bien. Jouez-le encore, je vous en prie ! »

Et elle essayait de le chanter, et ses yeux devenaient humides.

« Tu as une jolie voix, ma petite ; je t’apprendrai la musique. Pour le moment, embrasse-moi et viens m’aider : nous avons beaucoup d’ouvrage à faire, vois-tu. »

Mlle Léonide emmena l’enfant pour l’empêcher de s’attendrir, fidèle à son principe « que la vie était faite pour autre chose que pour pleurer ». Anne s’égaya en portant de la caisse dans le salon une foule d’objets curieux qui lui semblaient venir du pays des fées. Elle s’émerveillait, questionnait et babillait comme un oiseau joyeux. Mlle Léonide souriait et se sentait heureuse comme elle ne l’avait pas été depuis bien longtemps. Elle s’était dit d’abord : « Si j’avais eu le bonheur d’être une mère de famille, comme j’aurais aimé une petite fille pareille à celle-ci ! » Il y avait un regret dans cette pensée : il n’y en eut plus dans la suivante : « Pourquoi ne l’aimerais-je pas ? je n’ai pas besoin d’être sa mère pour cela ! »

Anne resta tout à coup pétrifiée d’admiration. Elle venait de sortir d’un coin de la caisse une petite bercelonnette en bois sculpté peinte en rouge et blanc, où reposait un poupon à figure rebondie, entortillé des pieds aux épaules dans une longue bandelette brodée qui lui ser-