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le violoneux de la sapinière.

allait, et ce qu’il pouvait bien y avoir dans sa voiture. Mlle Léonide regarda comme les autres, et tout à coup, appelant sa servante :

« Allons, Manette, mettez vite la voiture sous la remise et le cheval à l’écurie : nous allons avoir de l’ouvrage. Tu tombes bien, ma petite Anne : tu vas m’aider à déballer mes caisses. Les vois-tu qui arrivent là-bas ?… Le roulier s’arrête, il parle à un cantonnier ; je parie qu’il lui demande où est la maison de Mlle Brandy. Eh ! par ici, mon brave homme, par ici ! arrivez vite ! »

La voiture approchait en effet, et Mlle Léonide ne s’était pas trompée. Dès que les hommes qui flânaient sur leurs portes eurent compris de quoi il s’agissait, ce fut à qui s’offrirait pour donner un coup de main au roulier, et les caisses furent bientôt rangées en ordre dans le vestibule de la maison. Puis Manette apporta des verres et quelques bouteilles de bon vin, et Mlle Léonide, aidée de la petite Anne, versa à boire à tous les travailleurs en les remerciant de leur complaisance. Après quoi elle les congédia, ne gardant que le menuisier du village, le père Brethomé, et son fils Jean, à qui elle donna un marteau et un ciseau pour faire sauter les clous qui fermaient les caisses. Manette voulait aider ; mais, repoussée sous prétexte qu’elle ne connaissait rien à ces choses-là, elle resta simple spectatrice et suivit l’opération avec autant d’intérêt qu’Anne elle-même.

« Voilà les clous enlevés ! s’écria enfin Mlle Léonide. Jean, venez par ici, appuyez fort, pour abattre ce côté de la caisse. » Et elle appuyait elle-même de toutes ses forces. On entendit un craquement, les planches s’écartèrent et s’abattirent.

« Très-bien ! ôtez-moi ces planches de là. Tu vas voir ce que tu n’as jamais vu, Anne : un orgue, mon enfant ! un orgue !

— Mais si, mademoiselle, j’en ai vu un à Mareuil, une fois : c’était un homme qui le portait et qui lui faisait jouer de jolis airs en tournant une poignée comme celle d’un moulin à café.

— C’était un orgue de Barbarie, ma pauvre Anne. Voyons, sais-tu ce que c’est que la Barbarie ?

— Je connais les canards de Barbarie, dit Anne en souriant malicieusement : ils ont une petite queue en trompette qui est très-drôle. Ce n’est pas cela ?

— Tu te moques de moi, petite masque. Mon orgue est trop grand pour qu’on se le pende au cou, comme celui que tu as entendu dans les rues de Mareuil ; et la Barbarie est un pays d’Afrique. Connais-tu l’Afrique ? »