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le violoneux de la sapinière.

« Que veux-tu, toi ?

J’écoutais, répondit-elle simplement. C’est-il défendu ? alors je vais m’en aller. Je ne voulais pas vous gêner : mais c’était si beau ! »

Ambroise se radoucit.

« Comment t’appelles-tu ?

— Je m’appelle Véronique, et je suis la fille à la veuve Tessier, qui demeure à Pied-Doré. Comme nous n’avons pas de pré, je mène paître mes ouailles[1] où je peux, dans les endroits qui ne sont à personne. Elles sont là-haut aujourd’hui, et comme j’ai entendu, en arrivant, de la musique qui jouait dans la grotte, je suis venue y voir ; et voilà comment je vous ai dérangé. Je m’en vais : ne vous fâchez pas.

— Non : reste un peu. Il faut que tu me promettes quelque chose.

— Quoi donc ?

— Il faut que tu me promettes de ne dire à personne que tu m’as vu, et que je jouais du violon.

— Pourquoi ? Est-ce que c’est mal ? Ma mère dit que ce sont les gens qui font mal qui se cachent.

— Non, ce n’est pas mal, mais… Aimes-tu ton père, toi ?

— Ah ! comme je l’aimerais si je l’avais ! Mais il est mort il y a trois ans, et je n’ai plus que ma mère. Tu as ton père et ta mère, toi ? tu es bien heureux ?

— Tu m’as l’air d’une bonne petite fille. Viens ici, je t’expliquerai pourquoi je me cache. Est-ce que tes ouailles ne vont pas s’écarter ?

— Oh non ! il y a mon chien Turlure qui les garde. Raconte-moi ton histoire. » Ils s’assirent tous deux sur une pierre, et Ambroise raconta tout. Véronique l’écouta d’abord sans cesser de faire passer vivement d’une aiguille à l’autre les mailles de son tricot ; peu à peu son travail se ralentit ; puis elle s’arrêta tout à fait, laissa tomber l’ouvrage sur ses genoux, et joignant ses deux mains et levant vers son compagnon ses yeux brillants où roulaient des larmes :

« Tu réussiras ! s’écria-t-elle. C’est déjà très-beau ce que tu fais. Et dire que tu as appris cela tout seul !

— Tout seul ; mais ce n’est rien, ce que je fais : il faut que j’arrive à jouer d’abord un air tout entier, et puis ensuite tous les airs

  1. Moutons, brebis.