Page:Colomb - Le violoneux de la Sapinière, 1893.djvu/37

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
25
le violoneux de la sapinière.

rais, et l’on n’aurait plus rien à lui dire, avait pensé l’enfant. Mon Dieu ! que je suis donc malheureux de ne pas savoir jouer du violon !

» Mais est-ce bien difficile à apprendre ? Si j’essayais ? J’ai si souvent regardé le père, et je sais tous ses airs par cœur ; je m’amuse à les chanter quand je suis tout seul bien loin dans les champs et qu’on ne peut pas m’entendre. Je veux essayer ! »

Et Ambroise, qui n’avait de sa vie entrepris aucun travail, se mit dans l’esprit de devenir violoniste à lui seul. Il profita d’un moment où le malade était endormi et où sa mère était sortie, pour ouvrir l’armoire et y prendre le violon ; puis il se mit à courir de toutes ses jambes jusqu’à ce qu’il fût hors de vue. Il connaissait la grotte, et il résolut de venir y cacher ses essais musicaux, parce que c’était un lieu désert et qu’il n’y courait pas risque d’être entendu. Il y resta jusqu’au soir. Quand il rentra au logis, il était fatigué de tout le corps comme s’il eût reçu des coups de bâton ; mais il était fier et content ; car, s’il n’avait pas encore trouvé l’air qu’il cherchait, du moins il faisait beaucoup d’autres notes que celles que donnaient les quatre cordes, et qui l’avaient tant réjoui d’abord.

Il n’est pas besoin de dire qu’il retourna à la grotte, le lendemain et les jours suivants. Le matin il aidait sa mère à faire le ménage, et elle s’étonnait de le trouver bon à quelque chose. Mais dès que tout était en ordre à la maison, que la Tarnaude était occupée à son ouvrage et Louis aux champs, Ambroise s’esquivait sans bruit, et à mesure qu’il marchait, il se sentait plus léger et plus libre ; il lui semblait être sur le chemin du paradis. Il arrivait à la grotte, il prenait son violon ; il chantait l’air qu’il aurait voulu jouer, et il essayait d’en reproduire les sons avec son archet et ses doigts. Quelquefois il croyait y être, et le cœur lui battait de bonheur ; mais il manquait toujours quelque chose à son air, et le pauvre enfant, épuisé, rouge et tout en sueur malgré le froid, se dépitait et pleurait à chaudes larmes. Puis quand il avait bien pleuré en se répétant avec désespoir : Je ne pourrai jamais ! une voix secrète lui disait au fond du cœur : Essaye encore ! Et il reprenait son violon et recommençait ses tentatives. Au bout de quinze jours il n’était guère plus avancé qu’au commencement ; et pourtant Julien Tarnaud ne prenait pas le chemin d’être guéri à Pâques. Sa jambe se remettait ; mais il avait attrapé un mauvais rhume dans cette nuit qu’il avait passée couché sur la route après s’être échauffé à boire et à faire danser ; puis la fièvre de prin-