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le violoneux de la sapinière.

ries plates et basses d’où l’on ne pouvait apercevoir l’entrée de la grotte, cachée par le feuillage des saules. La grotte était profonde et semée d’un sable sec et fin. Comme elle était éloignée de toute habitation et que les gens du pays n’avaient plus aucune raison pour se cacher, elle était depuis longtemps complètement abandonnée.

Cependant, ce même mercredi des Cendres où Julien Tarnaud avait si tristement enterré le carnaval, un petit garçon traversa le village en courant, descendit la prairie jusqu’au bord de l’Yon, prit le sentier qui longeait la rive, atteignit la rangée de saules et entra dans la grotte. Là il s’assit sur une pierre et s’occupa de défaire un paquet assez volumineux qu’il avait apporté et qu’il tenait avec toutes sortes de précautions. On aurait dit qu’il déshabillait une poupée précieuse. Il défit les cordons qui serraient la coulisse d’un sac de serge verte, l’ouvrit et en tira lentement et avec le plus grand soin… un violon et son archet ! Il les regarda quelque temps, hésitant, tâtonnant ; puis se levant résolûment :

« Allons, il faut essayer, se dit-il : c’est le meilleur moyen de trouver. Je me rappelle bien comment le père me l’a fait tenir, un jour : sous mon menton, comme cela : c’est bien. Et puis le manche avec la main gauche, pour pouvoir remuer les doigts sur les cordes : c’est cela ! Je sais bien aussi comment on prend l’archet, comment on le tire et comment on le pousse : voilà !

Et il fit résonner les quatre cordes l’une après l’autre.

« Cela va très-bien ! s’écria-t-il enchanté. Oui, mais cela ne fait pas un air, il n’y a pas moyen de danser là-dessus. Il faut que je trouve le moyen de jouer des airs. C’est en posant les doigts sur les cordes, et puis en les relevant, que le père change le son du violon. Essayons. Ah ! voilà un autre son… et puis un autre… celui-ci est vilain… bon ! le voilà plus joli. Que je suis content ! c’est presque comme une chanson ! »

Et Ambroise (car c’était lui) sautait de joie. Il s’était fait tout un travail dans sa tête depuis le matin. Il s’était senti attristé d’entendre sa mère reprocher à son père, qu’il aimait, l’accident qui le jetait sur un lit, à charge aux autres et incapable de gagner de l’argent ; il avait pensé en lui-même que le pauvre homme était bien assez puni, sans qu’on vînt encore le tourmenter. Le médecin espérait que Julien Tarnaud serait guéri pour Pâques : oui, mais il n’en était pas sûr : et s’il n’était pas guéri, comme on allait le rendre malheureux, ce pauvre père ! « Oh ! si je savais jouer du violon ! je le remplace-