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le violoneux de la sapinière.

buies dans le pays. Au pied d’un des lits, un coucou dans sa gaîne de bois aux couleurs brillantes ; au milieu de la chambre, une grande table longue, où se trouvait généralement le gros pain bis enveloppé d’un linge pour se conserver frais plus longtemps ; puis une armoire, un buffet surmonté du vaisselier où s’étalaient, inclinées en avant, les assiettes à fleurs ; quelques chaises et quelques bancs : voilà le mobilier de la maison Tarnaud. Au lieu de plafond, des solives enfumées ; au lieu de plancher, la terre battue ; et pour ornements, quelques vessies de porc gonflées et accrochées à la poutre qui soutenait le toit, quelques gourdes en train de sécher sur la cheminée, et un beau bouquet de fleurs en papier rose, à feuillage argenté, rapporté de la dernière foire de la ville. L’autre chambre était pareille à la première, moins la table, l’évier et le buffet. Derrière la maison s’étendait une cour avec son poulailler, son toit à porcs et sa mare où barbotaient des canards ; et après la cour, un jardin potager et deux ou trois petits champs plantés en blé noir, en seigle et en pommes de terre.

Le jardin n’était remarquable que par un bouquet de quatre sapins qui achevaient de mourir de vieillesse ; c’était tout ce qui restait d’un petit bois de ces arbres, qui avait dû valoir autrefois à la métairie son nom de la Sapinière.

La Sapinière appartenait en toute propriété à Julien Tarnaud, le ménétrier, qui l’avait reçu de son père en bon état et bon rapport. Il y avait à peu près cinq ans que le bonhomme était mort, et depuis ce temps-là le ménétrier, qui n’était pas très-porté pour le travail de la terre, aurait laissé les mauvaises herbes y pousser à leur aise, si sa femme eût été de la même humeur que lui. Mais la Tarnaude était une femme vaillante et dure à la fatigue, et quand Julien laissait sa pioche pour aller jouer avec les amis une partie de boules arrosée de petit vin blanc, elle se contentait de hausser les épaules, ramassait l’outil et faisait en deux heures la besogne de la journée. Elle avait de bonne heure mis au travail son fils aîné, et maintenant qu’il avait seize ans, il faisait l’ouvrage d’un homme, et l’héritage pouvait bien se passer des soins de Julien Tarnaud. D’ailleurs on lui pardonnait sa fainéantise à l’égard du labourage, vu qu’il gagnait gros avec son violon, l’hiver aux noces et l’été aux préveils, qui sont les fêtes des villages, qu’on appelle dans d’autres pays assemblées, pardons, ducasses ou kermesses. La Tarnaude n’avait qu’un souci, la conscription, qui menaçait de lui enlever son laboureur dans quatre ans ; et