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le violoneux de la sapinière.

coteau où est bâtie la Ferme-Neuve. Ajax, le vieil Ajax, qui passe tout son temps couché sur le paillasson de la salle à manger, et qui ne se dérangerait ni pour un chat ni pour un os, se lève avec empressement en étirant ses quatre pattes, lorsque son maître lui dit : « Allons, mon bon chien, allons voir Anne ! » Anne, prévenue de l’arrivée de son père par les aboiements de Caïman qui s’élance au-devant d’Ajax, vient à sa rencontre dans sa douce majesté de dame et de fermière. Son teint rose est un peu hâlé, ses mains blanches sont un peu brunies, mais tout marche à merveille dans la basse-cour, dans la laiterie et dans le potager. La jeune femme porte dans ses bras un petit être emmaillotté de blanc, dont la petite figure rouge fait de temps en temps une légère grimace : Anne prétend alors qu’il rit déjà et qu’il ne tardera pas à connaître son grand-père. Emmanuel se lève dès l’aube, va, vient, visite ses champs, inspecte ses travailleurs : il vient de rentrer ses dernières récoltes de l’année, qui sont superbes, et les pauvres s’en sont bien trouvés.

Plusieurs fermiers, qui avaient perdu une partie de leurs récoltes pour n’avoir pas pu les rentrer à temps à cause du manque de bras, voyant qu’Emmanuel n’avait rien perdu, grâce à ses machines, sont allés lui demander à les examiner de près. Emmanuel, qui n’est pas d’avis de mettre la lumière sous le boisseau, a fait manœuvrer ses machines devant eux, et a offert de les leur prêter à l’essai. Grâce à Emmanuel, la richesse du pays sera certainement doublée d’ici à peu d’années ; c’est sa manière d’être utile à la France.

Mme Arnaudeau n’a pas, cette année, passé autant de temps que de coutume chez sa fille, où elle assistait à des scènes de ménage fort désagréables : M. le vicomte commence à trouver que sa femme dépense trop, et Sylvanie le considère comme un affreux tyran, quand il lui parle de supprimer une robe ou un chapeau par saison. Mme Arnaudeau est peut-être aussi retenue à Chaillé par le jeune ménage de la Ferme-Neuve. Elle contemple souvent et longtemps son petit-fils, et dit à Anne : « Pourvu qu’il ne soit pas un affreux gamin comme était son père ! Si vous saviez, ma chère, comme il était malpropre et désordonné ! — Je sais, je sais, répond Anne en riant, c’est moi qui lui ai appris à mettre sa cravate. »

Les bancs de l’école sont bien garnis, et Véronique gouverne son petit peuple avec autorité et tendresse : elle aime ses élèves et elle en est aimée. Elle a de la dentelle à sa coiffe du dimanche (c’est Ambroise qui le veut), et la Tessier s’occupe tout doucement du ménage