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le violoneux de la sapinière.

maient ; aussi il lui sembla qu’elle devenait leur mère à tous, et elle se sentit le cœur assez large pour les y loger tous à la fois. Elle se jeta dans les bras de Mlle Léonide, qui l’embrassa tendrement et lui dit : « Je sais que tu aimeras les enfants, et je te les donne avec confiance ; c’est autant pour eux que pour toi que je fais cela. » Puis M. le maire et le notaire vinrent donner une poignée de main à la jeune institutrice ; elle fut présentée à M. l’inspecteur, qui lui fit un petit discours sur ses nouveaux devoirs. La Tessier était dans le ravissement.

Enfin Mlle Léonide reprit la parole.

Il n’y a plus rien sur les papiers de M. le notaire, dit-elle. Mais j’ai quelque chose à ajouter. Il est convenable qu’une institutrice soit mariée, et si personne n’y met d’opposition, nous marierons notre institutrice avec notre organiste : il me semble qu’ils se conviennent parfaitement. Je me charge d’offrir le dîner de noce. »

Il n’y eut pas d’opposition, même de la part de la Tarnaude, car Véronique devenait une demoiselle, et un bon parti. Il y avait longtemps que la Tessier aimait Ambroise comme s’il eût été son fils. Quant à Véronique, elle mit résolument sa main dans celle d’Ambroise en lui disant tout bas : « Tu vois bien qu’il fallait avoir un peu de patience ! » Ambroise, lui, ne dit rien du tout : il était trop heureux.

Le lendemain, Anne et Emmanuel furent mariés, et Ambroise joua du violon dans l’église de façon à faire soupirer de regret M. Bardio. Mais il ne soupirait pas, lui ; et s’il jouait si bien, c’est que toute la joie de son cœur était passée dans son archet et dans ses doigts, pendant qu’il faisait vibrer le fameux violon d’Amati, que Mlle Léonide lui donnait comme cadeau de noce. La semaine suivante, on fit le dernier déménagement de Mlle Léonide ; et le mois d’après, l’école se rouvrit sous la direction de Véronique, devenue Mme Ambroise Tarnaud. Le dîner de noce, offert par Mlle Brandy, fut très-simple : Véronique avait prié sa bienfaitrice d’employer le superflu de la dépense à donner des vêtements d’hiver aux plus pauvres de ses écoliers. Il n’aurait pas fallu proposer à Martuche d’en faire autant pour le dîner de noce d’Emmanuel : elle s’y surpassa, et l’on en parlera longtemps dans le pays.

Il y a plus d’un an que ces choses sont arrivées ; le docteur ne s’ennuie pas chez lui, car Mlle Léonide ne manque jamais de sujets de conversation ; mais il ne se passe pas de jour qu’il ne gravisse le