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le violoneux de la sapinière.

durant, sera Ambroise Tarnaud, ex-sergent de mobiles à l’armée de la Loire, chevalier de la Légion d’honneur, fils de Julien Tarnaud, ménétrier, demeurant à la Sapinière.

— Oh ! mademoiselle ! » s’écria Ambroise étouffant de bonheur. Il ne put pas ajouter un mot, et se précipita vers Mlle Léonide dont il couvrit les mains de baisers.

« Mon cher garçon, lui murmurait-elle, tout émue elle-même et le laissant faire, l’art est une grande et belle chose, c’est vrai ; mais il vaut autant quand il élève les âmes à Dieu sous la voûte d’une vieille église de campagne que quand il appelle sur une scène les applaudissements de la foule. Avec ton violon et ton orgue, tu peux être heureux sans sortir d’ici.

— Je serai heureux ! je suis heureux ! répondit Ambroise avec ravissement. Ô ma Véronique !

— J’ai quelque chose à lui dire aussi, à elle. Reste encore, je n’ai pas fini. »

L’acte signé, le notaire en présenta un autre à Mlle Brandy.

« Celui-ci, dit-elle, est l’acte de donation à la commune de Chaillé de ma maison et du jardin y attenant, avec une portion de mon mobilier que j’y laisserai, notamment celui de la salle d’école ; laquelle maison sera et demeurera à perpétuité une école ; et pour que les enfants les plus pauvres y puissent être reçus, je constitue à l’institutrice une rente de 500 francs, afin qu’elle instruise gratuitement les enfants que le conseil municipal aura dispensés de payer l’école. Le tout sous la condition expresse que la première institutrice, qui conservera cette fonction sa vie durant, sera Véronique Tessier, fille de la veuve Tessier, que j’ai instruite moi-même, et qui vient de subir avec succès ses examens d’institutrice. »

Ce fut au tour de Véronique d’être dans la joie. Elle avait travaillé sous la direction de Mlle Léonide, avec l’espoir d’obtenir une place dans quelque école et de pouvoir ainsi assurer le repos de sa mère. Mais la courageuse fille n’avait jamais pensé que ce pût être à Chaillé, puisque Chaillé n’avait pas d’autre école que celle de Mlle Léonide, et son cœur se brisait à l’idée de quitter tout ce qu’elle aimait pour s’en aller dans un bourg inconnu instruire des enfants inconnus. Ceux de Chaillé, elle savait leur nom à tous, elle les avait vus naître, elle les avait vus grandir ; il n’y en avait aucun qu’elle n’eût un jour ou l’autre porté tout petit dans ses bras, à qui elle n’eût fait quelque joujou avec des glands ou des brins de jonc. Elle les aimait et ils l’ai-