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le violoneux de la sapinière.

se réveilla, et comme il suffisait à lui seul à l’entretien de leurs champs, la Tarnaude recommença à trouver qu’Ambroise n’était pas bon à grand’chose, et à le lui dire toute la journée, naturellement. Le fait est qu’il ne gagnait rien : on ne dansait plus, chacun gardait son argent ou le donnait aux blessés et aux orphelins de la guerre, au lieu de payer de la musique, et Ambroise ne pouvait plus guère compter que sur l’argent de sa croix. M. Bardio lui avait reparlé de ses anciens projets ; mais ses économies avaient été dépensées pendant la guerre ; elles avaient servi à faire vivre ses parents, puisque Julien Tarnaud n’avait pas trouvé d’ouvrage dans son état, et à envoyer à Louis, qui manquait de bien des choses en Prusse, et qui ne se gênait pas pour demander même plus d’argent qu’il ne lui en fallait. Ambroise ne voulait pas accepter les offres généreuses de son vieux maître, qui mettait sa bourse à sa disposition ; il ne se dissimulait pas que les événements avaient reculé loin, bien loin, les brillantes perspectives qui lui avaient souri autrefois. D’ailleurs il était las et ne se souciait plus de courir le monde ; rien ne lui semblait aussi beau que le Bocage de la Vendée, et il n’aurait rien désiré s’il avait pu comme autrefois gagner sa vie avec son violon. Son cher violon ! depuis qu’il ne rapportait rien, sa mère n’aimait pas à l’entendre, et quand il voulait en jouer en paix, il l’emportait hors du logis et allait gagner la grotte, asile de ses premières études.

Ce fut là que Véronique le trouva un jour d’automne, triste comme le ciel gris où la bise faisait tourbillonner les feuilles jaunies.

« Qu’as-tu ? lui dit-elle en le regardant de ses yeux profonds.

— J’ai que me voilà revenu aux mauvais jours, comme quand j’étais enfant et que je me cachais ici pour étudier. Ma mère ne peut plus souffrir le violon : il ne me fait plus gagner un sou !

— Eh bien, les mauvais jours d’autrefois sont passés, ceux d’aujourd’hui passeront de même. Il faut avoir du courage, Ambroise ! tu as montré que tu en avais contre les Prussiens, tâche d’en trouver contre tes ennuis.

— C’est facile à dire : mais c’est dur de s’entendre reprocher le morceau de pain qu’on mange ; comme si celui qu’elle a mangé tout l’hiver ne venait pas de moi ! L’injustice me révolte, vois-tu, je ne peux pas m’y faire, je ne m’y ferai jamais !

— Mon pauvre Ambroise, on ne peut pourtant pas exiger que tout le monde soit juste ; c’est tout au plus si l’on est sûr d’être toujours juste soi-même. Prends patience ; on se remettra peu à peu à faire