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le violoneux de la sapinière.

si bonne fille ! jamais tu ne pourras trouver une meilleure femme. Docteur, vous ne me la refuserez pas, n’est-ce pas ? vous savez bien que mon garçon la rendra heureuse ! »

Et l’excellent homme s’était levé, il avait pris dans ses deux mains la fine taille d’Anne, et l’avait à moitié portée, à moitié traînée vers le docteur. Anne riait et pleurait à la fois ; mais elle ne dit point non lorsque son père lui demanda tout bas : « Veux-tu ? » Et quand elle fut revenue à sa place, fêtée par tous les convives, elle dit à Emmanuel avec un petit air grave de maîtresse de maison :

« Emmanuel, vous m’apporterez vos livres de la ferme-modèle, pour que je les étudie : je ne veux pas être une fermière pour rire.

— Je savais bien, moi, dit Martuche qui arrivait avec un énorme gâteau, que Véronique aurait bientôt une robe de noce à faire. Allons, mademoiselle Anne, je mets le gâteau devant vous, vous allez le couper, pour qu’on voie si vous êtes bonne à marier. »

On rit, et Anne embrassa gaiement Martuche, ce qui ne laissa pas de scandaliser un peu M. le vicomte et Mme la vicomtesse. Mais on ne peut pas contenter tout le monde. Inutile de dire que le gâteau fut très-bien coupé.

Dès le lendemain, comme il l’avait dit, Emmanuel chaussa des sabots et s’en alla avec son père examiner leurs propriétés. On décida l’achat de quelques landes qui confinaient aux champs de blé, et l’on choisit à mi-côte l’emplacement de la ferme. Emmanuel fit venir des ouvriers, donna des plans, et dicta une foule de dispositions. Il fit venir aussi des machines qui étonnèrent un peu les gens du pays ; mais comme il avait l’air de savoir très-bien ce qu’il voulait, on lui obéit.

La maison s’éleva rapidement : il fallait qu’elle fût bâtie avant l’hiver, et Anne la voyait déjà en rêve, blanche, claire et gaie, avec des rideaux de mousseline partout, de la verdure par derrière, un parterre par devant, les bâtiments de la ferme du côté de l’est, et comme perspective, les maisons de Chaillé groupées en bas de la colline, et l’Yon serpentant entre les prairies. Les landes se défrichaient, les machines fonctionnaient, tout allait à merveille.

Sylvanie et son mari étaient retournés à Nantes, se trouvant dépaysés à la campagne, et personne ne les avait regrettés, pas même Mme Arnaudeau, qui se trouvait très-bien chez eux, mais qui était un peu gênée de les avoir chez elle, où elle ne pouvait jamais les contenter. D’ailleurs, tout en continuant à penser que Sylvanie était