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le violoneux de la sapinière.

mémoire pour se garer d’eux désormais ; mais il faut penser à l’avenir plus encore qu’au passé, et y travailler de tout son cœur, chacun selon ses forces. Qu’est-ce que vous allez faire, Emmanuel, à présent que vous voilà revenu ?

— Mademoiselle, vous parlez d’or : c’est précisément ce que j’allais dire. Je vais pendre mon sabre, mes pistolets, et autres outils meurtriers au mur de ma chambre où ils formeront une belle panoplie ; je prierai ma mère d’enfermer mon uniforme dans une malle avec de la lavande pour le préserver des mites, et dès demain je chausse des sabots pour faire le tour de nos terres. Les bestiaux manquent, j’en élève ; je donne à chaque terrain la culture qui lui convient, je travaille du matin au soir, j’obtiens des produits superbes, et je me rends utile à mon pays, selon mes moyens, comme vous le disiez. Approuvez-vous ?

— Complétement !

— Et moi aussi ! dit M. Arnaudeau.

— Moi aussi, répéta Mme Arnaudeau : de cette façon, tu ne nous quitteras plus. J’avais pourtant pensé qu’avec ton grade tu aurais peut-être envie de rester militaire, et…

— Ma bonne mère, tu peux te rappeler que je t’ai priée de mettre de la lavande dans mon uniforme pour le préserver des mites. Ceci indique que je le reprendrai au besoin. Mais quant à faire mon métier d’être militaire, cela n’est pas plus dans mes goûts qu’avant la guerre. Considère-moi donc tout simplement comme un bon fermier. »

M. le vicomte et Mme la vicomtesse de Montadille firent une petite moue ; mais les autres convives paraissaient très-contents. M. Arnaudeau était aux anges.

« Maintenant, reprit Emmanuel, comme on n’a jamais vu un fermier sans fermière… »

Il s’arrêta un instant pour regarder les visages. Son père riait de tout son cœur, Mlle Léonide souriait, Mme Arnaudeau ne semblait pas mécontente, et regardait fixement Anne, qui regardait son assiette.

Emmanuel recommença.

« Comme on n’a jamais vu un fermier sans fermière, je te prie, mon cher père, de vouloir bien demander à monsieur le docteur de me céder Mlle Anne, si toutefois elle veut bien consentir à être la reine de ma maison, de mes étables, de mes basses-cours et de tous leurs habitants.

— Tout de suite, mon garçon ! s’écria M. Arnaudeau radieux. Une