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le violoneux de la sapinière.

avec tant de soin, et truffé dès la semaine dernière par la prévoyante Martuche ! Les entrées mijotent avec un fumet exquis : voici un canard aux olives, un civet de lièvre dont on se lèchera les doigts, un fricandeau si tendre qu’on n’aura qu’à lui montrer le couteau pour qu’il se range en tranches sur sa litière d’oseille, un filet de bœuf aux champignons, lardé, doré, pénétré de jus et glacé de sauce. Voici la salade ; et Martuche a été chercher Véronique pour y disposer avec goût des cercles et des arabesques de bourrache, de capucines et de cerfeuil haché. Ses entremets, ses crèmes, ses gâteaux, son dessert, ornent le buffet ; on y voit jusqu’à des pommes et des poires de la dernière saison, un miracle de conservation. « Ce sera un dîner dont on parlera longtemps, dit Martuche à Véronique ; et je n’en ferai qu’un plus beau dans toute ma vie : ce sera le dîner de noce de M. Emmanuel.

— Est-ce qu’il va se marier ? demanda Véronique.

— On ne me l’a pas dit, mais j’ai mon idée, et s’il me charge de lui choisir une femme. Quand je dis ça, je sais bien qu’il ne m’en chargera pas ; mais ça se pourrait bien qu’il eût la même idée que moi. Enfin, suffit. Vous verrez, Véronique, si vous ne serez pas chargée de faire la robe de la mariée. »

Véronique souriait ; elle avait son idée, elle aussi, et c’était la même que celle de Martuche. Pourquoi ne serait-ce pas aussi celle d’Emmanuel ?

Le dîner fut superbe, et Martuche y acquit une gloire qui rayonna jusqu’à ses vieux jours. Les convives, du reste, étaient dignes de le manger : c’étaient M. le maire, M. le notaire, cousin des Arnaudeau, M. le vicomte de Montadille, qui avait daigné quitter Nantes pour cette occasion et venir secouer à l’anglaise la main de son beau-frère qu’il appelait « cher » et « bon ».

C’était encore Mlle Léonide, le docteur, et sa fille Anne, qui se trouva, on ne sait comment, assise entre le maître de la maison et son fils.

On parla de la guerre, de la paix, des événements, on revint sur les fautes commises, on se plaignit, on accusa celui-ci et celui-là. Mlle Léonide mit fin aux lamentations en frappant sur la table.

« Tout cela est, si je peux m’exprimer ainsi, dit-elle, de la moutarde après dîner. Ce n’est pas que je veuille vous dire de passer l’éponge sur la dernière année, d’oublier tout et d’accorder une amnistie complète aux traîtres, aux lâches et aux imbéciles, non : il faut garder la