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le violoneux de la sapinière.

— Eh ! bien sûr qu’il n’a pas de mal, puisqu’il écrit. Tu feras mieux de fendre ton bois ; je n’en ai pas pour deux jours de ce qui reste. Tiens, d’ailleurs, voilà la petite Tessier qui arrive me rapporter des chemises que je lui ai données à arranger ; elle te lira ça. »

Véronique entra, dit poliment « bonjour la compagnie », remit les chemises à la mère Tarnaud, et lui demanda s’il n’y avait rien à faire pour son service. À cette question, ce fut Julien qui répondit :

« Voilà une lettre de mon gars qui vient d’arriver ; Véronique : voulez-vous nous la lire ? »

La mère Tarnaud, au lieu de retourner à ses gorets qui grognaient, s’installa auprès de la fenêtre avec son tricot, preuve qu’elle avait tout aussi grande envie que son mari d’entendre la lettre. Véronique prit la lettre, s’assit pour mieux la lire, et se mit à la parcourir rapidement. Puis, relevant ses yeux qui brillaient de joie et d’attendrissement :

« Il y a de bien belles choses, père Tarnaud, dit-elle. Écoutez, vous allez voir.

« Mon cher père, disait Ambroise, je ne tarderai pas à revenir au pays, et je n’aurais jamais cru, si on me l’avait dit quand je suis parti, que cela me ferait plus de chagrin que de plaisir. On vient de nous annoncer qu’on a conclu un armistice, ce qui veut dire qu’on s’arrête de se battre, et il paraît qu’au bout de l’armistice on fera la paix, mais une triste paix qui nous coûtera cher, et que nous serons bien obligés d’accepter, puisque nous ne pouvons plus nous défendre. Enfin, pour ce qui est de nous, je suis encore heureux de m’en être tiré avec mes bras et mes jambes, et de revoir la Sapinière. »

— Alors, si on a la paix, les prisonniers reviendront ! dit la Tarnaude en relevant le nez de dessus son tricot.

— Eh ! sans doute, répliqua Julien, et Louis sera ici pour la fenaison, et même plus tôt. Laisse donc lire la lettre d’Ambroise. » Véronique continua :

« À présent que j’ai le temps, je veux vous raconter une aventure qui m’est arrivée il y a trois semaines à peu près. C’était pendant notre retraite ; nous nous battions presque tous les jours, et nous étions bien contents quand nous pouvions nous arrêter la nuit pour dormir. Cette nuit-là, on me donna un billet de logement pour la maison d’un riche propriétaire, à deux cents pas de Troô, un gros village où il n’y a plus que des ruines à présent. J’étais avec d’autres sous-officiers. Toutes les portes étaient ouvertes, j’entre : personne