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le violoneux de la sapinière.

ras, n’est-ce pas ? je trouverai toujours quelqu’un pour me lire tes lettres. Le docteur, qui lit les journaux, me dira où est ton régiment. Mon bon garçon ! si je pouvais, j’irais avec toi ; mais il faut bien que quelqu’un reste pour ta mère. Adieu, adieu, mon enfant, et que le bon Dieu te ramène ! »

La famille Arnaudeau était là aussi, avec le docteur, Anne et Mlle Léonide. Le docteur remit à chaque soldat un petit paquet contenant de quoi faire un premier pansement en cas de blessure ; et Véronique, qui n’avait pas voulu laisser partir Ambroise sans lui dire adieu, lui donna des chaussons qu’elle avait faits pour lui, pour reposer ses pieds après les longues étapes. Puis le tambour battit, et il fallut se séparer. Les volontaires partirent d’un pas ferme, sans regarder derrière eux, et leurs familles s’en retournèrent tristement au logis.

On eut d’abord assez souvent des nouvelles des absents. Mais il y eut bientôt des combats ; alors les nouvelles devinrent plus rares, et parfois elles apportaient le deuil. Il faisait froid. Combien nos soldats doivent souffrir ! disait-on en se pressant autour du foyer. La Tarnaude plaignait surtout Louis, et sa mauvaise humeur retombait sur le dos de son mari. Le pauvre homme faisait bien ce qu’il pouvait pour maintenir la Sapinière en bon état mais il ne serait jamais venu à bout des semailles d’hiver si M. Arnaudeau ne lui eût envoyé deux de ses métayers pour lui labourer ses champs. La Tarnaude avait elle aussi une aide ; car Véronique passait souvent par la Sapinière, afin de voir s’il n’y avait pas quelque chose à faire pour son service. De plus, elle lui lisait les lettres d’Ambroise, et même celles que Louis faisait écrire par le fils du boucher, son camarade ; elle écrivait les réponses, et elle gagna tout à fait le cœur de la Tarnaude en tricotant un gilet de laine que celle-ci voulait envoyer à son fils aîné. La pauvre Véronique avait eu plus de loisir qu’elle n’en aurait voulu, car l’ouvrage n’abondait pas, et on lui donnait peu de robes à faire en dehors des robes de deuil. Elle avait souvent le cœur bien triste en pensant qu’elle avait peut-être envoyé Ambroise se faire tuer, et elle se demandait avec inquiétude si elle avait bien agi ; mais elle se rassurait en se disant : Puisque c’était son devoir, il n’y avait pas moyen de faire autrement.

Un jour, après avoir lu le journal et conféré avec le docteur, Mlle Léonide partit pour la Roche-sur-Yon. Quand elle revint, elle se mit à démeubler sa salle d’école, enlevant les bancs, les tables, l’es-