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le violoneux de la sapinière.

devoir, c’est tout ce qu’on peut faire de bien. Quand la patrie est attaquée et qu’elle appelle ses enfants pour la défendre, il est bien pour ses enfants de prendre un fusil et de partir, et il ne peut pas y avoir de devoir qui contredise celui-là. Que veut-il dire avec son art qui est au-dessus de tout ? Ce qui est au-dessus de tout, c’est la conscience, et elle t’avait dit de partir ! Que veut-il dire encore, des dons que Dieu t’a faits et que tu ne dois pas laisser perdre ? Ce seraient de tristes dons, s’ils servaient à te rabaisser le cœur plus bas que celui de tant de gens qui n’ont pas de savoir ni d’intelligence, et qui vont tout droit où ils doivent aller ! Il parle dans l’intérêt de la France ! Est-ce que son intérêt n’est pas de vivre, avant tout ? Est-ce que Dieu n’est pas capable de donner à un autre le talent qu’il t’avait donné, s’il ne veut pas que ce talent soit perdu ? Toi, cela ne te regarde pas : fais ton devoir et ne t’inquiète pas du reste ! »

Véronique s’était animée peu à peu : ses joues étaient roses et ses yeux étincelaient. Ambroise l’écoutait ; à mesure qu’elle parlait, il devenait honteux d’avoir écouté le vieil artiste, et il baissait les yeux, n’osant pas regarder la jeune fille.

« Ô Véronique, lui dit-il enfin, je crois que tu es mon bon ange. Depuis que je te connais, toutes les fois que j’ai eu de mauvaises pensées, tu t’es mise entre moi et le mal pour m’empêcher de le faire ; tu m’as toujours montré ce qui était bien, et tu m’as donné du courage quand j’en manquais. Si je vaux quelque chose, c’est à toi que je le dois ; mais tu vaux toujours mieux que moi. Je te remercie, et Dieu aussi, qui a voulu que tu fusses là pour me sauver. Demain je partirai ; je n’irai voir M. Bardio que quand mon engagement sera signé, et après… tu peux être sûre que je ferai mon devoir ».

Mlle Léonide rentrait en ce moment.

« Eh bien ? demanda-t-elle.

— Eh bien, mademoiselle, je vous attendais pour vous dire adieu et vous remercier de toutes vos bontés ; car je ne sais pas si je pourrai revenir vous voir ; les engagés sont tout de suite dirigés vers la ville pour apprendre la manœuvre.

— Tu t’engages donc décidément ? Allons, c’est très-bien ! Je n’aurais pas osé te le conseiller : c’est trop grave d’envoyer les gens là-bas ; mais puisque tu y vas de toi-même, je ne peux que te dire : c’est très-bien ! »

Le lendemain, l’engagement d’Ambroise était signé, et deux jours