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le violoneux de la sapinière.

— Tous, non, monsieur ; il y en aura d’autres d’ici la fin de la semaine. Tout le monde ne peut pas être prêt en même temps, on a ses petites affaires à arranger avant de partir : vous comprenez, quand on n’est pas sûr de revenir… »

M. Bardio ne l’écoutait plus. Il s’était frappé le front : une idée lui venait ; et il marchait à grands pas vers la route de Bordeaux pour prendre la voiture de Mareuil, qui partait précisément à cette heure-là et dont on entendait les grelots. Il s’y trouvait encore une place : il monta, trouva les chevaux, bien lents, et descendit à Saint-Florent où il prit la route de Chaillé, en arpentant le terrain de toute la vitesse de ses jambes.

« Il serait capable d’en faire autant ! se disait-il en cheminant. Ces jeunes gens sont tous un peu fous. Passe encore pour les autres : ils n’ont rien de mieux à faire que de se faire casser la tête. Mais lui ! je voudrais bien voir cela, par exemple !… Bon !… qu’est-ce que j’entends ? La Marseillaise à présent, et sur le violon encore ! ce ne peut être que lui ! Malheureux enfant ! il va se monter la tête, et il n’y aura plus moyen de lui faire entendre raison. C’est cela ! c’est de la maison de Mlle Brandy que sort cette musique. Après tout, j’aime autant le trouver là : cela m’épargnera la peine d’aller le chercher jusqu’à la Sapinière. »

Et le maître de musique sonna à la porte de Mlle Léonide, en méditant un discours très-éloquent, et qu’il jugeait très-persuasif. Manette, qui le connaissait, lui ouvrit la porte de la salle à manger, où Mlle Léonide, assise à l’orgue, accompagnait la Marseillaise à Ambroise. Véronique raccommodait du linge près de la fenêtre. Les musiciens s’arrêtèrent court à l’entrée un peu vive de M. Bardio.

« Eh ! bonjour, cher monsieur ! s’écria Mlle Léonide : c’est une rareté qu’une visite de vous, et je suis charmée de vous voir.

— Moi aussi, mademoiselle, moi aussi. Vous faites toujours de la musique, c’est bien, cela ! Je t’ai entendu du dehors, mon garçon ; tu jouais bien, très-bien, avec ampleur, avec puissance. Mais ce n’est pas classique, cet air-là ; ce n’est pas fait pour le violon. Prends-moi plutôt une sonate de Kreutzer, un concerto de Viotti ; voilà qui est écrit pour l’instrument !

— Merci, mon cher maître, je les jouerai un peu plus tard, s’il plaît à Dieu ; pour le moment j’ai autre chose à faire. Je comptais aller demain vous faire mes adieux en allant m’engager.

— T’engager ! M. Bardio se laissa tomber sur une chaise. Pas pos-