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le violoneux de la sapinière.

brune, très-bien faite, avec de petits pieds et de petites mains, le front uni et large, le nez petit et droit, des yeux noirs étincelants, la bouche un peu grande.

Elle n’était pas belle comme Anne, mais il y avait dans sa physionomie quelque chose d’à la fois calme et résolu qui inspirait de la confiance.

Comme elle avait pris depuis son enfance l’habitude de faire son devoir sans regarder à la peine, elle avait acquis une conscience si clairvoyante qu’en toute occasion elle saisissait du premier coup ce qu’il fallait faire, et n’hésitait jamais entre le bien et le mal, si confus qu’ils fussent pour des esprits qui se croyaient plus éclairés que le sien.

Aussi Mlle Léonide, qui aimait comme son enfant la douce et docile Anne, avait presque du respect pour Véronique, et il lui arrivait de demander conseil à cette paysanne de dix-huit ans.

En ce moment, tout en pensant, comme M. Bardio, qu’Ambroise était capable d’arriver très-haut si on lui en fournissait les moyens, elle hésitait à lui conseiller de partir, dans la crainte d’affliger Véronique en la séparant de son ami d’enfance. Véronique, elle, ne songeait pas au chagrin qu’elle aurait : elle ne pensait jamais à elle-même.

Elle s’occupait de calculer si elle pourrait, sans faire tort à sa mère, distraire une partie de ses épargnes pour aider Ambroise à aller à Paris.

Un grand coup de sonnette fit tressaillir les deux jeunes filles. On entendit une voix qui demandait le docteur, et en même temps Pélagie qui se récriait avec toutes sortes d’exclamations sur la bonne mine du visiteur.

« Est-il grand ! est-il beau garçon ! il a de la barbe comme un homme ! Ah çà ! j’espère que vous n’allez plus quitter Chaillé maintenant ? Entrez, entrez donc ! C’est Anne qui sera contente de vous voir. Elle n’était pas là quand vous êtes venu il y a deux ans, elle avait accompagné Mlle Brandy qui allait boire je ne sais quelle eau bien loin d’ici, parce qu’elle était malade. Vous ne reconnaîtrez pas Anne : elle a presque la tête de plus que moi, et il n’y a pas une aussi jolie fille parmi toutes les demoiselles du pays. »

Ce disant, Pélagie ouvrit la porte de la salle à manger et introduisit un grand jeune homme, bronzé par l’air et le soleil, qui salua Anne avec aisance en lui disant :