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le violoneux de la sapinière.

Mme Arnaudeau donnait le lendemain un bal à sa fille, qui était venue lui faire une visite de quelques jours, et c’était pour ce bal que Véronique faisait une robe à Anne qui y travaillait elle-même.

Emmanuel avait fini ses études agricoles et revenait s’installer chez son père ; et Ambroise devait le lendemain offrir à toutes les pianistes le secours de son violon pour composer un orchestre entraînant. Il n’allait plus guère faire danser dans les préveils ; il laissait à son père la clientèle de la campagne et jouait surtout dans les maisons et les châteaux : à dix lieues à la ronde, pas un bal ne se donnait sans lui.

De plus, grâce aux leçons de M. Bardio et de Mlle Léonide, il était capable de jouer des duos, et beaucoup de jeunes femmes et de jeunes filles sorties de pension avec un petit talent sur le piano lui faisaient demander de les accompagner ; et quoique ces leçons ne fussent pas payées bien cher, elles augmentaient encore raisonnablement son revenu.

Il avait des économies qui lui auraient presque permis d’aller travailler à Paris, selon les conseils de M. Bardio ; mais il hésitait à se jeter dans l’inconnu, quand la vie était si douce et si facile pour lui en Vendée.

Les deux jeunes filles continuaient à coudre en silence. On était au mois de juillet ; il faisait très-chaud, et Anne avait fermé les persiennes de la salle à manger où elles travaillaient.

Un seul rayon de soleil, pénétrant par un trou de la persienne, traversait la chambre sombre, et y traçait une grande raie de lumière. Cette raie passait entre les deux couseuses, éclairait vivement l’étoffe rose qu’elles tenaient et en renvoyait les reflets sur leurs visages inclinés.

Anne n’avait pas besoin de ces reflets pour paraître elle-même une vraie rose épanouie.

Huit ans avaient fait de la frêle petite fille une charmante femme, grande, fraîche, forte et délicate à la fois, dont l’aspect réjouissait tous les cœurs, tant il y avait de bonté et de gaieté dans ses yeux bleus, sur son grand front blanc et sur ses lèvres souriantes.

Véronique, auprès d’elle, avait presque l’air d’une religieuse, tant son visage paraissait paisible et pâle dans l’ombre de sa coiffe de mousseline. C’était un vrai type de femme vendéenne : petite et