Page:Colomb - Le violoneux de la Sapinière, 1893.djvu/192

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
180
le violoneux de la sapinière.

ques métayers qui ne sont pas trop contents : ils se défient des écoles d’agriculture et des nouvelles méthodes qu’on en rapporte. Moi, je leur dis que les machines leur épargneront du travail, et sauveront souvent leurs récoltes des orages qui les perdent, parce qu’on n’a pas le temps de les rentrer assez vite. Mais il faut qu’ils voient les choses pour les croire.

— Eh bien, ils verront. M. Arnaudeau, lui, est très-content ; il vient nous raconter tous les projets de son fils, et il nous lit même ses lettres pour nous aider à comprendre, parce que lui, il n’explique pas très-bien les choses. Emmanuel a voyagé pour étudier les méthodes d’agriculture employées dans différents pays, et mon père dit qu’il a tout ce qu’il faut pour réussir. Quand on pense qu’il était si méchant autrefois !

— Oh ! non, pas méchant, mademoiselle ; vif, espiègle, mais pas méchant. Vous rappelez-vous comme il est venu au secours d’Ambroise, la première fois qu’il a joué au préveil de Chaillé ? Un méchant garçon n’aurait pas fait cela.

— Oh ! je ne parle pas de ce temps-là, mais de plus loin encore, quand il cassait mes poupées et tourmentait mes bêtes. Il a bien changé depuis. C’est comme Ambroise, qu’on croyait presque idiot quand il était petit, avec son air chétif et triste, et qui est devenu un artiste, un vrai. M. Bardio, le maître de musique, voudrait qu’il s’en allât à Paris ; il dit que si Ambroise entendait de belle musique et s’il prenait des leçons de quelque grand violoniste, il deviendrait peut-être un homme célèbre.

— Le croyez-vous, mademoiselle ? demanda Véronique en levant ses grands yeux vers Anne avec un air d’inquiétude.

— Pourquoi pas ? Tu sais bien comme il joue de l’orgue : il n’est pas très-fort pour jouer des morceaux difficiles, mais quand il invente des airs, il trouve des choses si belles que cela donne envie de pleurer. Mlle Léonide en est étonnée : elle joue mieux que lui la musique des autres, mais elle n’est pas capable d’inventer comme lui. Est-ce que tu ne serais pas contente, Véronique, s’il devenait célèbre ? C’est à toi qu’il le devrait, car c’est toi qui l’as encouragé au commencement, et qui lui as appris à lire.

— Si c’est pour son bonheur, il faut qu’il parte ! » dit Véronique d’un ton ferme, où il y avait peut-être un peu de tristesse. Et elle ne dit plus rien et continua à coudre avec une grande activité.