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le violoneux de la sapinière.

Il y passa le reste des vacances, heureux comme le poisson dans l’eau, grimpant à tous les arbres, pêchant des grenouilles dans la mare, se baignant dans l’Yon, pétrissant le pain avec Martuche, faisant la moisson avec les paysans, tour à tour maniant la faucille ou le fléau, liant les gerbes ou portant la hotte des vendangeurs. Les jours de pluie, il allait chanter avec Anne dans le solfège de Mlle Léonide, écoutait l’orgue et le piano et trouvait que la musique était vraiment belle quand elle n’était pas faite par Sylvanie. Mlle Léonide le faisait causer, lui apprenait une foule de choses et lui donnait envie d’en apprendre d’autres ; et elle lui prêtait des livres qu’il était tout étonné de comprendre et d’aimer.

« N’est-ce pas, mademoiselle, que je ne suis pas si bête que j’en ai l’air ? » lui dit-il un jour. Cela fit bien rire la petite Anne.

Il arriva ainsi à la fin des vacances, et rentra au lycée en même temps que les deux élégantes, revenues des bains de mer, s’en allèrent commencer leur dernière année de couvent. M. Farrochon devait revenir au printemps suivant et rappeler sa fille auprès de lui, et il était convenu que Sylvanie et Mme Arnaudeau iraient passer les vacances à Nantes. Sylvanie aurait alors dix-sept ans, et sa mère, qui la trouvait admirable, caressait l’espoir de la marier à quelqu’un de plus digne d’elle qu’un propriétaire de campagne. En attendant, Sylvanie s’étudiait à imiter les façons de son amie, et malheureusement elle commençait à y réussir, à mesure qu’elle réussissait moins dans ses études. Elle n’avait jamais aimé le travail pour lui-même, et n’y avait cherché que des satisfactions de vanité ; maintenant que sa vanité se portait d’un autre côté, l’étude était abandonnée, l’étude qui aurait peut-être fini par faire d’elle, au lieu d’une pédante, une femme vraiment instruite. Sylvanie dépensait toute son énergie et toute son intelligence à combiner des attitudes, des sourires, des mines, des toilettes, des discours, destinés à étonner le public. Il ne lui en aurait pas fallu davantage, en travaillant dans un autre sens, pour devenir une femme de mérite.

Octavie l’encourageait dans ses essais, et souriait avec complaisance aux progrès de son élève. Elle tenait beaucoup à la bienveillance des Arnaudeau, elle se trouvait bien chez eux, et d’ailleurs, quelle que fût pour le moment l’opulence de son père, elle savait que cette opulence n’était pas solide, et elle se rappelait que déjà plusieurs fois elle l’avait vu vendre les chevaux, renvoyer les domestiques, et réduire les dépenses à une mesquinerie qui n’était pas dans