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le violoneux de la sapinière.

Véronique continuait à travailler ; elle et Anne venaient quelquefois aider Mlle Léonide à faire l’école, et c’était merveille de voir comme elles savaient se faire comprendre des plus petits et des moins intelligents. Mlle Léonide souriait en les voyant à l’œuvre. Voilà deux vraies femmes ! disait-elle au docteur, qui venait quelquefois faire une leçon sur la manière de guérir une brûlure, une coupure, de retirer une épine restée dans une piqûre ; sur les soins à prendre pour un rhume ou une colique, et beaucoup d’autres choses qui, si on les savait dans les campagnes, empêcheraient bien des petits maux de devenir grands.

Pour Ambroise, il ne pouvait guère fréquenter l’école, à cause des préveils qui l’appelaient tantôt d’un côté, tantôt de l’autre ; mais il lisait et écrivait déjà très-bien, et Mlle Léonide lui prêtait des livres qu’il emportait dans ses excursions et qu’il relisait jusqu’à les savoir par cœur.

Julien Tarnaud n’avait plus la fièvre, et il avait repris son métier, avec un violon neuf, car il avait voulu laisser à Ambroise le vieux qui était bon. Le père et le fils faisaient à eux deux un superbe orchestre, et Ambroise, en voyant son père si fier de lui, sans la moindre jalousie ni le moindre regret d’être surpassé par son enfant, se rappelait avec confusion le mouvement de colère qu’il avait eu en voyant que Véronique savait écrire avant lui.

À mesure qu’il s’instruisait, le jeune garçon devenait meilleur. Il avait pardonné à la Tarnaude ce qu’elle lui avait fait souffrir dans son enfance, en réfléchissant que lui aussi n’avait pas toujours été ce qu’il aurait dû être, et que si sa mère s’était montrée brutale et indifférente, il avait été bien indolent, bien peu tendre pour elle, et bien peu préoccupé de lui rendre les petits services qui étaient à sa portée. Maintenant la Tarnaude le portait aux nues : il gagnait gros, si bien qu’on avait pu arrondir la Sapinière, du côté de l’est, d’un petit pré qui donnait d’excellent foin.

Julien Tarnaud ne buvait plus ; son accident l’avait rendu sage, et puis il aurait eu honte de se montrer moins sobre que son fils. Louis était le moins content de la famille : il ne comptait pas pour grand’chose désormais et n’était plus le préféré de sa mère ; mais comme il n’avait pas beaucoup d’amour-propre, il en prenait son parti, car le pré qu’on avait acheté lui faisait grand plaisir. En-