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le violoneux de la sapinière.

— Je voudrais bien emmener M. le docteur, répondit Ambroise en tournant son bonnet entre ses mains de façon à en montrer tantôt l’intérieur et tantôt la mèche.

— Papa va descendre ; attendez un peu que je lui serve son café, et il ira tout de suite avec vous. »

On entendit résonner des pas dans l’escalier, et un homme d’environ quarante ans, à la figure triste et fatiguée, parut derrière la petite fille.

« À qui parles-tu, ma petite Anne ?

— Papa, c’est Ambroise qui vient te chercher : tu sais bien, Ambroise, le fils de Tarnaud, le musicien.

— Vraiment ? qui est-ce donc qui est malade chez toi, mon pauvre garçon ? demanda le médecin d’un air de bonté.

— C’est le père, monsieur le docteur. Il est tombé cette nuit en revenant de Saint-Florent, et une voiture lui a passé dessus. On l’a rapporté au petit jour : ses jambes lui font grand mal et il ne peut pas les remuer. La mère se désole et Louis aussi ; moi j’ai pleuré d’abord, et puis j’ai pensé que je ferais mieux de venir vous chercher, et me voilà. Venez tout de suite, je vous en prie.

— Oui, mon garçon ; certainement ! répondit le médecin en lui caressant amicalement la joue. Entre avec moi : tu n’as pas eu le temps de manger ta soupe, bien sûr ? Anne te donnera un peu de café ; cela ne sera pas long. »

Ambroise suivit le père et la fille dans une petite salle à manger ornée d’un baromètre, d’un buffet à dessus de marbre noir qui supportait glorieusement des tasses à fleurs rangées en ordre sur un plateau rouge, de six chaises de paille, et d’une table où Pélagie avait, avant de sortir, mis le couvert de Monsieur. Anne, vive et adroite petite ménagère, posa devant Ambroise un bol sur une assiette, courut à la cuisine, en rapporta le café brûlant, versa, sucra, retourna chercher le lait bouillant couronné d’une épaisse crème et l’appétissant pain rôti, servit les deux convives, et, sûre désormais qu’il ne leur manquerait rien, elle s’échappa de la salle à manger. Elle y revint au bout d’un instant avec l’air triomphant et mystérieux d’un enfant qui vient d’avoir une bonne idée, et s’assit pour déjeuner près de son père. Comme elle achevait de se servir, on entendit, marchant de conserve, les sabots d’un homme et ceux d’un cheval. Tous les deux, l’homme et la bête, s’arrêtèrent devant la maison. Anne regarda son père et se mit à rire.