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le violoneux de la sapinière.

neuve resta livrée aux ouvriers, et Anne n’y alla que pour voir si les boiseries avançaient, si les plafonds séchaient et si les planchers étaient bien rabotés. Pendant ce temps-là, elle continuait ses études et faisait de grands progrès. Ambroise venait souvent, et Mlle Léonide s’occupait de lui, comme elle le lui avait promis. Elle lui apprenait la musique, et les derniers doigts qui se posèrent sur l’orgue avant qu’on l’emportât dans la nouvelle demeure furent ceux du jeune ménétrier. Il était si souvent resté en extase aux accords qui sortaient de l’instrument, que Mlle Léonide avait fini par lui dire : Essaye d’en jouer ! Il avait essayé, et il réussissait comme au violon, car il était remarquablement bien doué pour la musique. Il apprenait aussi à écrire, à compter, mais plus lentement, et pour cela Véronique le dépassait. La petite bergère profitait, elle aussi, de l’incendie de Mlle Léonide. Celle-ci, avec sa passion d’enseignement, avait bientôt jugé que l’enfant qui faisait de si jolies corbeilles et qui avait si facilement saisi les procédés pour faire les fromages, devait être intelligente pour toutes choses. Elle lui avait donc un jour proposé de lui apprendre à lire, et Véronique lui avait raconté comment elle avait acquis cette science, et même celle de l’écriture.

Je voudrais bien apprendre autre chose, avait-elle ajouté ; mais voici l’hiver, et Mareuil est loin, et puis j’ai beaucoup d’ouvrage que la bonne Mme Amiaud m’a fait avoir, et puisque je peux gagner à coudre de l’argent qui fera du bien à ma mère, j’aime mieux cela que d’apprendre dans les livres ; cela ne ferait de bien qu’à moi.

Mlle Léonide approuva l’enfant, mais elle alla voir Mme Amiaud. Le résultat de cette entrevue fut très-heureux pour Véronique. Elle n’alla plus à Mareuil que le dimanche, mais tous les soirs elle vint passer une heure ou deux dans la chambre de Mlle Léonide, et elle fut bientôt aussi savante qu’Anne. En hiver, il n’y a pas grand’chose à faire aux champs ; aussi la Tessier d’ordinaire dépensait dans cette saison le peu qu’elle avait réussi à amasser pendant l’été. Cette année-là il n’en fut pas ainsi ; elle se chargea de tous les tricots du village, qu’elle faisait à la veillée, pendant que Véronique, tout en cousant, lui racontait les belles histoires qu’elle avait apprises ; et le matin elle allait en journée chez des bourgeois, qui lui donnaient du travail moins pénible et plus payé que celui des champs. La pauvre veuve se vit donc sortie de la misère et rassurée sur le sort de sa fille ; et comme elle ne voulait pas dépenser l’argent que Véronique gagnait à coudre et qu’elle lui apportait fidèlement elle alla consulter