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le violoneux de la sapinière.

Le lendemain et les jours suivants, Mlle Léonide ne perdit pas de temps. Elle emmena Anne avec elle au Tablier, pour avoir une raison de se forcer à n’être pas triste devant les ruines de sa maison. Elle fit charger sur des charrettes le mobilier sauvé de l’incendie, pour le ranger tant bien que mal dans la maison du docteur. Puis elle chercha et trouva un acheteur pour son terrain et ses décombres, et avec l’argent qu’elle en retira, elle put acheter un autre terrain à Chaillé, tout près de la maison du docteur. Il fut convenu qu’elle demeurerait chez celui-ci pendant qu’on lui planterait son nouveau jardin et qu’on lui bâtirait une nouvelle maison. Elle fit elle-même son plan et trouva facilement des ouvriers pour l’exécuter : à la campagne on se passe souvent d’architecte. Sa maison n’avait qu’un rez-de-chaussée, un étage et un grenier. Au rez-de-chaussée, elle ne voulut qu’une grande cuisine et deux salles carrelées, une de moyenne dimension et une très-grande.

« Mais vous ne pourrez jamais meubler ce salon-là ! lui dit le docteur en riant. Vous voulez donc donner des bals ?

— Qui vous dit que ce soit un salon ?

— Qu’est-ce, alors ?

— C’est mon secret : vous le saurez au printemps, car j’espère bien qu’elle sera finie au mois d’avril. Les murs montent vite, et l’entrepreneur m’a promis que le toit serait posé avant l’hiver, pour qu’on pût travailler dans l’intérieur. J’y entrerai le 1er mai, et vous verrez comme je pendrai la crémaillère !

— Bon, nous verrons. Mais si ce n’est pas un salon, où recevrez-vous vos visites ?

— En haut. Il y aura trois chambres à coucher : une pour moi, une pour Manette, et une chambre d’amis ; et un petit salon avec ma bibliothèque, mes gravures, toutes mes curiosités. L’orgue et le piano resteront en bas : vous saurez pourquoi.

— Et moi aussi, mademoiselle ? demanda curieusement la petite Anne.

— Toi aussi, bien sûr, et même avant les autres, puisque tu m’aideras à tout arranger.

— Quel bonheur ! quel bonheur ! répéta Anne en sautant et en battant des mains. J’aurai un secret à garder ! Comme je serai une grande fille ! »

Anne garda en effet très-bien le secret quand elle le sut : il est vrai qu’elle ne le sut pas longtemps à l’avance. Tout l’hiver, la maison