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le violoneux de la sapinière.

Je vais à Chaillé demander asile au docteur. Merci de votre aide, mes chers amis ; amenez-moi demain ici vos charrettes, s’il vous plaît, pour transporter mon mobilier chez lui. Tiens ! le voilà qui arrive, lui aussi. Bonsoir, docteur. Voyez, c’est ma maison qui brûle. Voulez-vous m’emmener chez vous ?

— Vous savez bien que je ne demande pas mieux. Mais comment n’a-t-on pas éteint le feu ? J’étais en course du côté de Nesmy, je n’ai su l’accident qu’il y a une heure, et je regrette bien de n’être pas arrivé plus tôt.

— Pourquoi faire ? Je vous expliquerai, et vous comprendrez que j’ai pris le meilleur parti. J’ai sauvé tout ce que j’avais de précieux.

— Vous êtes philosophe !

— Quand je pleurerais, à quoi cela m’avancerait-il ? On a toujours mieux à faire en ce monde. Je vais m’établir à Chaillé : je pourrai faire toute l’éducation d’Anne, et vous n’aurez pas besoin de l’envoyer au couvent. Cela vous va-t-il ? »

Le docteur, tout ému, lui serra la main.

« Allons, partons, dit-elle. Merci à tous ceux qui sont venus à mon secours. Adieu, vous autres, les gens du Tablier ; je vais chez le docteur, à Chaillé-les-Ormeaux : ceux qui auront besoin de moi sauront où me prendre. As-tu attelé Diablotin, Manette ? Tu resteras ici pour garder nos effets. Montez avec moi, docteur. À présent, en route ! »

Elle fit claquer son fouet, et Diablotin partit. Le docteur ne fit pas semblant de voir que la main qui tenait les guides se haussa jusqu’aux yeux de Mlle Léonide, pour essuyer une larme furtive, quand la maison incendiée disparut au détour de la route.

La petite Anne n’avait pas voulu se coucher. Elle était inquiète de son père qui était allé au feu ; et puis, disait-elle à Pélagie, il y aura peut-être de pauvres gens qui n’auront plus de maisons, et que papa amènera ici pour les coucher, et je veux être là pour les recevoir. Sa joie fut grande quand elle vit arriver avec son père Mlle Léonide et Diablotin. Elle n’osa pourtant pas être trop contente en apprenant les pertes de sa vieille amie ; elle n’aimait pas un bonheur fait du malheur d’autrui. Mais Mlle Léonide, qui lisait dans son bon petit cœur, lui assura qu’elle n’avait presque rien perdu, et que tout était pour le mieux. Anne fut donc complétement heureuse, et courut en chantant et en voltigeant comme un oiseau aider Pélagie à préparer pour Mlle Léonide la plus belle chambre de la maison, et à mettre dans le lit les draps blancs tout embaumés le lavande.