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le violoneux de la sapinière.

« Si vous le disiez à M. Arnaudeau ? peut-être qu’il irait aussi, et il serait plus utile que nous.

— Tu as raison. Allons le chercher. »

Ils trouvèrent M. Arnaudeau dans la cour. Il avait déjà vu l’incendie, et il rassemblait ses domestiques pour aller porter du secours. Les deux enfants se mêlèrent à l’expédition : on s’empila dans le char à bancs, Mme Arnaudeau ayant emmené la voiture, et l’on arriva bientôt au Tablier.

Il y avait là, éclairés par l’incendie, des gens occupés d’un déménagement. Mlle Léonide était au milieu d’eux, active, empressée, entrant à chaque instant dans la maison qui brûlait pour en rapporter tel ou tel objet, et aussi calme que si cette maison n’eût pas été la sienne. On l’aidait, et ses meubles, son orgue, son piano, son linge, sa vaisselle, ses livres, empilés dans des caisses, s’entassaient en ordre dans une grange qu’un voisin avait mise à sa disposition. Quelques paysans se passaient des seaux d’eau de main en main pour les jeter sur le feu, mais il n’y paraissait guère.

« Vous n’êtes pas assez nombreux ! s’écria M. Arnaudeau en arrivant. Allons, vite aux puits : apportez tous les seaux du village, nous venons vous aider. »

Mlle Léonide se retourna.

« Ah ! c’est vous, mon cher monsieur. Je vous remercie bien ; mais voyez-vous, ce n’est pas la peine. J’étais à me promener du côté de la Ribotière, et je m’épuisais à expliquer au fermier que s’il ôtait son fumier de devant sa porte, ses bêtes et sa famille se porteraient mieux, quand on est venu me prévenir que le feu était chez moi. On ne sait pas comment il s’y est mis ; mais ce point-là n’était pas le plus intéressant. Je suis revenue, et j’ai vu tout de suite qu’il n’y avait rien à faire. Les gens avaient bien commencé à jeter de l’eau ; mais quand on n’a pas de pompes, ce n’est pas avec des seaux d’eau qu’on éteint une maison qui brûle, et une vieille maison encore : pendant qu’on éteint d’un côté, ça se rallume de l’autre, et finalement on ne sauve pas une allumette. Il valait mieux déménager avant que tout fût en feu. C’est ce que j’ai fait, en commençant par mon argent, mes livres, mes collections, mes instruments, mon linge. Voilà mes matelas, mes lits, ma vaisselle, mes meilleurs meubles : ce qui reste à présent ne vaut plus la peine qu’on s’expose pour aller le chercher. Ah ! mon Dieu ! si, pourtant ! Voilà qui est une perte !