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le violoneux de la sapinière.

son épaule, et au bout de ce bâton pendait un grand panier qui paraissait très-lourd. On n’a jamais su si Martuche en avait donné le contenu de bonne grâce, ou si Emmanuel avait dévalisé son fruitier sans sa permission. Il n’y eut point de querelle à ce sujet : Martuche, dont Emmanuel avait toujours été le favori, était plus que jamais disposée à lui passer tout, en haine des nouvelles prétentions de Mlle Sylvanie, qui exigeait maintenant qu’elle lui parlât à la troisième personne, elle, Martuche, qui l’avait mise dans ses langes et qui lui avait appris à dire papa et maman ! Emmanuel tutoyait Martuche, lui, et il se laissait tutoyer par elle ; ça n’empêchait pas le respect et ça conservait l’amitié. Voilà ce que pensait Martuche, et c’est pour cela qu’Emmanuel put étaler sur la table des poires grosses comme les deux poings, des raisins noirs et blancs, veloutés, transparents, dorés par le soleil, des noix fraîches, et des pêches de vigne aussi rouges et luisantes que les joues de Martuche elle-même. On applaudit, on rit, on chanta, et l’on mangea ; on ne mangea pas tout : la Tessier eut sa part du festin. Les trois chiens aussi étaient très-heureux ; je dis trois, car Emmanuel avait amené Caïman, grand amateur de pain frais, qui amusa toute la société en se laissant mettre sur le nez une bouchée qu’il ne gobait que lorsque son maître avait compté jusqu’à douze.