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le violoneux de la sapinière.

— Oh non ! dit Véronique, pas si vite. Comme vous êtes bons ! je vous demande bien pardon d’avoir pleuré ; c’est que j’étais trop heureuse pour rire et pour parler, j’en étouffais. Comme ma mère va être contente ce soir ! Voudriez-vous encore me faire un plaisir ? ce serait de goûter de mes fromages : ils sont tout frais et j’ai du pain cuit de cette nuit, et du vin doux que le père Maurice m’a donné : il est très-bon. Mlle Anne et M. Emmanuel boiront dans les belles tasses. »

Et vivement, tout en parlant, Véronique mettait sur la table un linge pour servir de nappe, comme elle savait qu’on faisait chez les riches. Elle y posa deux assiettes de faïence à dessins bleus, bien propres, le grand pain bis, les fromages, et un pot de grès ventru contenant le vin doux. Elle mit le couvert d’Ambroise un peu plus loin ; mais Anne alla le chercher pour le placer à côté du sien.

« Donne une assiette pour toi, Véronique ; là, auprès d’Emmanuel nous ferons la dînette ensemble, ou bien je n’en suis pas. Et les chiens lècheront les assiettes, et l’on aura soin de laisser quelque chose dedans. Mais où est donc Emmanuel ?

— Il est parti, répondit Ambroise ; il m’a dit qu’il allait revenir. Tenez, le voyez-vous là-bas sur la route ? Comme il court !

— Heureusement que le déjeuner ne refroidira pas, fit observer la petite Anne. Montre-moi donc ton cahier en attendant, Véronique, je voudrais bien voir ton écriture.

— Oh ! oui, mademoiselle Anne, vous me donnerez une leçon ! » répondit Véronique avec joie, en mettant la bouteille à encre à côté du pot de vin doux. Mais Anne se récria : donner une leçon à Véronique ! c’était à peine si elle écrivait aussi bien qu’elle. Elle admira les lettres bien formées, la propreté du cahier, et prédit à Véronique qu’elle deviendrait très-savante. Véronique n’était d’abord qu’à moitié contente ; elle regardait Ambroise de côté et tâchait de garder un air indifférent ; mais quand elle vit qu’Ambroise souriait d’un air de bonne humeur, qu’il la louait, lui aussi, et qu’il avait l’air aussi heureux des éloges donnés à sa petite amie que s’ils eussent été donnés à lui-même, elle se réjouit tout à fait ; et quand la conversation fut interrompue par le retour d’Emmanuel, elle se glissa près d’Ambroise et lui dit tout bas : « Tu vois bien que tu deviens bon ! » Ambroise en rougit de plaisir, car sa conscience lui disait la même chose.

Emmanuel revenait très-chargé. Il portait un bâton appuyé sur