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le violoneux de la sapinière.

les trouvait trop belles pour y boire. Et quand tout fut prêt, on s’assit sur trois des quatre chaises, et l’on trouva Véronique bien longue à revenir. Elle ne tarda pourtant pas trop ; au bout d’un quart d’heure d’attente, on vit Ajax, qui s’était couché en rond aux pieds de sa maîtresse, se lever brusquement et s’élancer dehors pour courir en aboyant au-devant des moutons qu’il avait sentis. Heureusement qu’en apercevant Véronique, il comprit que c’étaient des moutons de connaissance ; il s’apaisa donc et se mit à marcher tranquillement auprès de Turlure, déjà fort inquiet du désordre qui menaçait de se mettre dans son troupeau.

« Mlle Anne est donc par ici ? » demandait Véronique à Ajax, qui remuait la queue et allait en avant comme pour lui répondre.

Étonnée, elle se hâta de faire défiler ses bêtes devant elle, à la porte de leur bergerie, et de les y enfermer. Puis elle entra dans la maison.

Elle crut d’abord s’être trompée de porte et être entrée par mégarde chez le voisin. Mais aucun voisin n’avait une si belle chambre, bien sûr ! Véronique reconnut Anne, Emmanuel, Ambroise, vit les taches de terre glaise à leurs vêtements et comprit tout. Elle fut si heureuse, si heureuse, qu’elle n’eut pas la force de le dire. Elle tomba à genoux sur le seuil de sa porte, cacha sa figure dans ses mains et fondit en larmes. Avoir une si belle maison, un vrai palais, quelle joie ! mais la pauvre enfant était plus heureuse, plus attendrie encore d’avoir rencontré en ce monde de si bons petits cœurs.

Les trois enfants coururent à elle, la relevèrent et la portèrent sur une des chaises ; Anne l’embrassait et riait, tout en ayant, elle aussi, une larme dans chaque œil. Emmanuel et Ambroise saisirent Ajax ; chacun par une patte de devant, et l’obligèrent à danser une ronde de réjouissance.

« Ah ! dit Véronique quand elle eut retrouvé la parole, les beaux rideaux ! les belles tasses ! les belles chaises ! et par terre ! est-ce que c’est vous qui avez fait cela ?

— C’est M. Emmanuel, interrompit Ambroise ; il sait mettre les carreaux ; et puis il a scié les chaises, et il a fait la toilette de l’endroit qu’il avait scié, avec une lime et de la cire : il sait tous les métiers.

— Oui, tous ceux qu’on ne m’apprend pas, dit Emmanuel. D’ailleurs, Ambroise m’a aidé, et Anne aussi : n’est-ce pas, Anne ? À la fin, elle était ici, et elle présentait les carreaux ; et puis elle a donné les rideaux, et les chaises, et les tasses. Aussi je vais la reconduire en voiture dans ma brouette. Venez-vous, Anne ?