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le violoneux de la sapinière.

que les règles de la grammaire latine. Si bien que le lendemain, à neuf heures, la chambre de la veuve était presque entièrement pavée en beaux carreaux rouge clair, bien alignés et bien unis. Il en manquait pourtant encore quelques-uns, et Emmanuel prit la brouette pour aller les chercher. Comme il revenait, il rencontra Ajax et sa maîtresse.

« Emmanuel qui s’est fait maçon ! s’écria la petite fille en riant. Comme vous voilà fait ! vous êtes crotté de la tête aux pieds.

— C’est pour le bon motif, mademoiselle ; je pave la maison de Véronique pour lui faire une surprise. Ambroise est avec moi. Voulez-vous venir nous aider, au lieu de vous moquer de moi ? je vous mettrai dans la brouette avec mes briques. »

Anne trouva la proposition charmante, et monta sur le trône de briques. Ajax la suivait. Ambroise vint à leur rencontre, les mains toutes jaunes de mortier.

« Mais vous avez presque fini, dit Anne en regardant la chambre. Comme c’est beau ! Ah ! mais j’ai mon idée, moi aussi. Viens, Ajax. Attendez-moi, je vais revenir tout à l’heure. » Elle revint en effet, portant un paquet blanc qu’elle déroula en triomphe.

« Voilà ! des beaux rideaux pour la fenêtre. C’est Pélagie qui me les a donnés. Otez vite ceux-là, Ambroise. Pauvre Véronique ! elle y a mis des morceaux comme elle pouvait ; il y en a de toutes les couleurs. Ce sera bien plus joli en mousseline ; elle ne va plus reconnaître sa chambre. Et puis Pélagie a dit de venir avec la brouette, qu’elle donnerait encore autre chose.

— Qu’est-ce que c’est donc, Anne ?

— Je ne sais pas ; elle n’a pas voulu me le dire. Dépêchez-vous : je vous passe les carreaux, cela ira plus vite. Plus que deux ! Vous avez fini ? Eh bien, venez. »

Ce que Pélagie donna, c’étaient deux chaises dont le dossier était cassé. Emmanuel s’arma d’une scie, et coupa bien proprement les montants à la hauteur du deuxième barreau ; on pouvait encore un peu s’y appuyer. Et Anne, en allant fureter dans le grenier, découvrit deux autres chaises mises au rebut comme boiteuses, mais qui, les pieds une fois rognés et égalisés, devinrent d’excellentes petites chauffeuses, pour s’asseoir l’hiver au coin du feu ; on les chargea sur la brouette, et Anne compléta ce splendide mobilier par le don de deux grandes tasses à fleurs rouges, destinées à orner la cheminée si on