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le violoneux de la sapinière.

Ce fut l’affaire de quelques secondes ; le tapage dégringola le long de l’escalier et pénétra dans le salon, sous la forme de Prétentaine affolée et poursuivie par Caïman. Octavie poussa un cri : « Là ! là ! » Et, défaillante et sur le point de s’évanouir, elle montrait la malheureuse Prétentaine, empêtrée dans la fameuse coiffure de bal qu’elle traînait après elle, souillée, chiffonnée, salie, dans un état à faire pitié.

On se précipita vers elle, on chassa Caïman, et, après avoir constaté que le désastre était irréparable, on chercha comment il avait pu arriver. Cela, c’était le secret de Caïman, de Prétentaine et d’un troisième coupable qui ne le dit jamais : mais moi je peux vous le dire.

Emmanuel, sorti furieux du salon avec son chien, avait rencontré dans la cour Prétentaine, occupée coquettement à lustrer son poil. Pour faire passer sa mauvaise humeur sur quelqu’un ou sur quelque chose, il montra la chatte à Caïman en lui criant : Au chat ! Caïman s’élança ; Prétentaine, surprise, s’enfuit, avisa la grande vigne qui tapissait le mur de la maison, y grimpa en s’accrochant aux espaliers, et, voyant une fenêtre ouverte, elle y sauta et se crut en sûreté.

La chambre où elle entra était la chambre de Sylvanie, cédée par elle à son amie ; et Prétentaine se blottit sur le lit, entre le mouchoir l’éventail et la coiffure.

Jusque-là il n’y avait pas de mal ; mais Emmanuel, de sa voix la plus formidable, répéta son cri : Au chat ! Caïman, qui savait fort bien comment on pouvait pénétrer dans les chambres d’en haut sans passer par les fenêtres, s’élança dans l’escalier, qu’il gravit en un instant, et vint tirer de sa sécurité la malheureuse fugitive, qui sauta en bas du lit, et se sauva par la porte entr’ouverte sans prendre garde à ce qu’elle entraînait. Or, ce qu’elle entraînait, c’était la coiffure ; et l’infortunée, toujours pourchassée par son ennemi, pénétra avec lui jusque dans le salon, où leur apparition causa le désordre dont nous avons parlé.

Octavie se lamentait encore de la perte de sa coiffure, et Sylvanie songeait avec humeur qu’il lui faudrait, par politesse, renoncer à se parer de la sienne, lorsque la petite Anne entra doucement. Elle accompagnait ses chaises de salon et quelques paires de flambeaux, que Mme Arnaudeau empruntait pour le soir. De plus, elle était suivie par Véronique, qui portait une grande corbeille admirablement tressée,