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le violoneux de la sapinière.

dans le dernier goût, qu’elle avait fait venir de Nantes. Elle avait eu la gracieuseté d’en commander une toute semblable pour Sylvanie.

Robes et coiffures étaient étalées sur leurs lits, avec tous les accessoires de leurs toilettes. Quand tout fut prêt, les deux jeunes filles redescendirent.

Emmanuel était occupé à placer des caisses d’orangers et de lauriers-roses dans les embrasures des fenêtres.

« Ne les mettez donc pas là ! lui dit Mlle Octavie. Faites-en un bosquet derrière le piano : le violoneux aura l’air de surgir du milieu de la verdure, ce sera tout à fait poétique.

— Je me soucie bien que ça soit poétique ! Ne faut-il pas qu’il puisse se remuer ? Comment voulez-vous qu’il joue si vous lui prenez toute la place avec vos arbres ? il sera là encaqué comme un hareng, puisqu’on ne peut pas avancer davantage le piano.

— Eh ! il n’a pas besoin de tant de place. Ces gens-là ne sont pas habitués à avoir toutes leurs aises ; c’est beaucoup d’honneur pour lui de faire danser des gens comme nous, et il peut bien se gêner un peu.

— Des gens comme lui valent tous les gens possibles, mademoiselle Farrochon ! et j’en ai assez de travailler pour des gens comme vous, qui n’ont pas plus de pitié que cela du mal des autres. Je m’en vais : arrangez vos orangers vous-même, si vous voulez. »

À ce moment Caïman, qui profitait du bouleversement pour entrer partout, se glissa dans le salon.

« Chassez donc votre chien, monsieur Emmanuel, s’écria Octavie. L’horrible bête ! il est tout crotté ! À bas ! à bas ! »

Et, joignant le geste à la parole, elle cingla le pauvre chien d’un coup de sa petite canne.

« Bon ! c’est le tour de mon chien, à présent ! s’écria Emmanuel en colère. Viens-nous-en, Caïman ! »

Et Emmanuel, secouant la poussière de ses mains, quitta le salon.

Malgré les observations des deux jeunes filles, M. Arnaudeau, comme son fils, persistait à ne pas vouloir laisser rétrécir la place destinée au petit violoneux, lorsqu’on entendit des aboiements furieux, mêlés à des miaulements désespérés. Il s’ensuivit un grand tumulte à l’étage supérieur : des corps lourds se poursuivant et se culbutant.