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le violoneux de la sapinière.

enjambant les échaliers, passant à travers les haies, et en moins d’une heure il arriva à Chaillé-sous-les-Ormeaux.

Chaillé-sous-les-Ormeaux, qu’on appelle dans le pays Chaillé-les-Ormeaux, ou tout simplement Chaillé quand on ne craint pas la confusion avec Chaillé-les-Marais, qui est aussi un joli endroit, mais situé dans une autre partie de la Vendée, est un bourg tout verdoyant, gai au possible, avec ses maisons blanches aux toits de tuiles rouges, qui paraissent entre les arbres, en automne, comme de grands coquelicots dans un champ de blé mûr. À ce moment-là il n’y avait pas de feuilles jaunes aux arbres pour produire cette ressemblance, mais la campagne a sa beauté l’hiver comme l’été, quoi qu’en disent les gens des villes qui ne l’ont jamais vue que fatigués d’une longue course en voiture, le gosier à sec et les yeux voilés de poussière, et qui se croient obligés d’admirer la nature dont au fond ils ne se soucient guère. Donc, ce matin-là, les toits rouges, les prairies vertes, les chemins, les branchages noirs, fins et déliés comme de la dentelle, brillaient au soleil sous une légère gelée blanche. L’Yon coulait limpide entre les prés dans son lit sinueux, et servait de miroir aux grands arbres plantés sur ses bords. Quelques énormes pierres, s’élevant çà et là au milieu du courant, faisaient rejaillir et écumer l’eau rapide, qui regimbait contre l’obstacle, le surmontait et s’écoulait en petites cascades murmurantes, berçant éternellement à la surface les feuilles de nénuphars, larges et lisses, dont le long pédoncule se dressait du fond de la rivière. De légères fumées montaient toutes droites des toits dans le ciel clair, ciel d’hiver d’un bleu d’opale, si pur, si transparent, qu’il semblait plus élevé, plus au-dessus de la terre que de coutume. La brume du matin s’était toute retirée à l’horizon, qu’elle voilait à demi, laissant seulement percer çà et là quelque sommet, arbre ou clocher, déjà éclairé par le soleil. La vie animait tout cela : les travailleurs s’en allaient aux champs, les hôtes des basses-cours et des étables saluaient le matin de toutes leurs voix, les femmes marchaient lestement, le panier ou la cruche sur la tête et leur tricot dans les mains, et les enfants fourmillaient partout. Dans la grande rue de Chaillé, la forge du maréchal-ferrant remplissait l’air de fumée et d’étincelles ; le maître de poste amenait le relai de la diligence dont on entendait déjà les grelots au loin sur la route, et l’aubergiste de la Boule d’Or, assis sur son banc de pierre à côté de sa porte, d’où s’exhalait une bonne odeur de soupe aux choux, attendait les voyageurs à pied et à cheval.