Page:Colomb - Le violoneux de la Sapinière, 1893.djvu/149

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
137
le violoneux de la sapinière.

« Je te croyais à la ville, papa, lui dit enfin Sylvanie.

— Ah ! monsieur votre père ! dit alors Octavie en se tournant vers lui avec une grande révérence. Il devint cramoisi et refit une quatrième fois son salut.

— Oui… ma fille… mademoiselle… j’y étais en effet… avec le cabriolet… pour chercher Emmanuel.

— Ah ! c’est vrai, c’était sa distribution de prix ce matin. En a-t-il eu beaucoup ? demanda ironiquement Sylvanie.

— Non, pas encore ; mais on est content de lui ; il pourra en avoir l’année prochaine, s’il continue.

— Je le lui souhaite ! Mais entrez donc dans le salon, ma chère ; vous devez être horriblement fatiguée… ces cahots… cette poussière… ce soleil…

— Bon temps pour les vignes ! le vin rosé sera excellent cette année ! » murmura M. Arnaudeau. Sylvanie rougit. Elle rougit bien davantage lorsque Emmanuel, entrant comme une bombe dans le salon, sans tunique ni cravate, — il s’était déjà débarrassé de ces deux pièces gênantes de sa toilette, — lui sauta au cou sans façon, et se mit à l’embrasser comme un collégien.

« Emmanuel ! finis donc avec tes façons de rustre ! lui cria-t-elle en colère.

— Tiens ! ça commence déjà ! Ordinairement nous en avions toujours pour vingt-quatre heures à être bien ensemble. Qu’est-ce qu’il y a donc aujourd’hui ?

— Tu arrives dans un costume… Va t’habiller, que je te présente à mon amie, Mlle Farrochon, et ne me fais pas honte.

— M’habiller ! ce n’est pas la peine ; puisqu’elle est ici pour les vacances, elle me verra assez souvent comme je suis là. Mademoiselle, je vous présente mes hommages, et je me mets à votre disposition pour la pêche aux grenouilles : il y en a des flottes dans la mare, et c’est très-amusant.

— Merci bien, mon cher monsieur ; je ne gênerai pas vos plaisirs, je ne veux voir ni de près ni de loin ces horribles bêtes. Sylvanie, ma chère, seriez-vous assez aimable pour me montrer mon appartement ?

— Ma mère y a déjà fait transporter vos malles ; je vous ai fait les honneurs de ma chambre, et j’espère que vous y serez bien. »

Octavie se leva majestueusement pour suivre Sylvanie. En passant devant Emmanuel, elle lui fit un grand salut cérémonieux, auquel il répondit en se ployant jusqu’à terre.